Avec “La Part sauvage”, porté par l’excellent Vincent Rottiers, le Belge Guérin Van De Vorst signe un premier long métrage qui interpelle sur la place des marginaux dans nos sociétés, plus particulièrement celle d’anciens prisonniers qui veulent (re)trouver la leur.
La réinsertion après un séjour plus ou moins long en prison n’est pas un sujet si courant sur nos écrans. Dans beaucoup de films, le retour à la liberté sert de départ pour un film d’action ou un polar, le héros étant vite rattrapé par son passé, soit parce qu’il retrouve d’anciens complices soit parce qu’il cherche à se venger, et est entraîné malgré lui ou pas dans une nouvelle spirale de violence. On pense notamment à L’Impassede Brian De Palma, The Getawayde Sam Peckinpah ou encore Sweeney Toddde Tim Burton. D’autres ont toutefois une approche plus humaine, plus grave, mettant en scène des héros qui veulent tourner la page, redémarrer leur vie, et sont confrontés aux obstacles. Comme dans Il y a longtemps que je t’aimede Philippe Claudel, Sling Bladede et avec Billy Bob Thornton ou Boy Ade John Crowley. Avec La Part Sauvage, Guérin Van De Vorst s’inscrit dans cette seconde veine. «J’ai des proches qui ont connu la prison, explique le cinéaste bruxellois. Je suis au courant des difficultés qu’ils ont rencontrées pour se réinsérer. À quel point ils s’étaient éloignés de la société, tout ce qu’ils devaient reconstruire. Je n’ai pas eu besoin de faire de longues recherches.»
Le pire ennemi? Soi-même
Son premier long-métrage relate donc le difficile parcours de Ben (excellent Vincent Rottiers), un trentenaire qui, après avoir passé trois ans en prison pour avoir braqué des commerces, tente de renouer avec son fils d’une dizaine d’années. «Dans mon court-métrage éponyme, je parlais déjà d’un jeune délinquant qui suivait une formation de soudeur. Un Ben avant la prison en somme. Cette fois, j’avais envie de raconter les retrouvailles entre un père et un fils. L’idée est partie d’une part d’une anecdote:un de mes amis n’avait plus vu son père depuis des années quand ce dernier a débarqué un jour à la sortie de l’école et l’a emmené et lui a fait vivre des expériences subversives. L’enfant s’est alors balancé entre la joie de retrouver enfin son père et la conscience de vivre des choses qui n’étaient pas de son âge. D’autre part, les personnages de marginaux peuplent tous mes films. C’est une figure qui m’intéresse. Il y a une phrase d’un sociologue qui dit qu’on reconnaît le degré de civilisation d’une société à la place qu’elle donne à ses exclus;je trouve que c’est d’une grande vérité.»
Et dans cette société où il tente de retrouver sa place, son héros doit affronter de nombreux adversaires:son ex-femme qui rechigne à le laisser voir son enfant, les promesses d’un avenir meilleur que font miroiter les intégristes qu’il a commencé à fréquenter… et surtout, lui-même. «C’est avant tout l’histoire d’un homme, je ne veux pas généraliser sur les hommes qui sortent de prison. Il a plusieurs mains tendues qui s’offrent à lui:celle de son ami garagiste (1) qui lui offre du travail, celle – plus tendancieuse – du prédicateur islamiste qui, croit-il, lui sera plus bénéfique. Il ne refuse pas les mains tendues, mais ne choisit pas nécessairement la bonne. Son réel ennemi est en réalité à l’intérieur de lui, c’est sa part de sauvagerie qui le plonge dans une précarité, et qu’il doit dompter.»
Transition difficile
Pour dompter sa «part sauvage», le héros devra lutter et faire des choix. Qui ne dépendent pas que de lui. Sans trop dévoiler l’intrigue du film, on peut dire que le rôle des «autres»est primordial. Même si le choix final appartient toujours à celui qui tente de retrouver sa place. «Ce n’est vraiment pas évident, conclut Guérin. Quand je repense à mes amis, j’avais alors le sentiment qu’ils avaient été totalement coupés du monde. Certains exprimaient même l’envie de retourner en prison. Pas parce qu’ils s’y plaisaient – ça reste une expérience traumatisante!– mais parce que là, ils étaient déchargés de tout poids, de toute responsabilité. La transition entre la prison et la liberté est difficile. Cela demande une sacrée volonté. Je m’interroge du coup sur le milieu carcéral, sur ce qu’il y aurait à faire pour que ces gens soient moins déphasés à leur sortie.»Un point que le réalisateur devrait sans doute développer lors de ciné-débats. «On est en contact avec différentes associations, entre autres pour montrer le film dans des prisons.»
(1) Sébastien Houbani, vu dans le très beau et percutant Noces, NDLR.