Espace de libertés | Avril 2018

L’immuable socle confessionnel. Entretien avec Imad Mourtada


International

Le 6 mai prochain, des élections législatives se tiendront au Liban. Un scrutin fort attendu, le premier au pays du Cèdre depuis 2009. Quels sont les enjeux, notamment en matière de laïcité, dans un pays régi de toute part par les communautés confessionnelles? Éléments de réponse avec Imad Mourtada, président de l’association Pour un Liban laïque.


Quel est l’état des lieux de la laïcité dans le Liban actuel?

La Constitution est inspirée du Code civil français, donc a priori laïque. Elle instaure l’égalité de tous les Libanais devant la loi, mais le problème, c’est la manière dont elle est appliquée. Car en réalité les Libanais ne sont pas égaux, vu que tout dépend de leur confession et de l’influence d’une communauté à un moment donné. Il y a toujours un rapport de force. L’État libanais reconnaît officiellement 18 communautés religieuses. Et les matières liées à la population (naissance, mariages, héritage, etc.) sont régies par les communautés. Chacune a de surcroît droit à une représentativité dans la fonction publique et dans différentes strates de la société. Il y a eu des essais pour sortir de cette logique, par exemple une tentative de ne plus inscrire son appartenance sur la carte d’identité. Mais aujourd’hui, cela pose des problèmes pour les listes électorales…

Le système de fonctionnement confessionnel est profondément ancré dans le pays?

Après les accords de Taëf, destinés à mettre fin la guerre civile, il a été décidé que le président serait maronite, le Parlement chiite et le Premier ministre sunnite, mais cela n’est inscrit nulle part, c’est tacite. Nous aurions dû créer un Sénat non confessionnel, mais cela n’a jamais été fait. Pour les autres fonctions de premier plan, là encore, il y a un partage confessionnel, jusque dans les écoles. C’est aussi une règle tacite, mais utilisée par tout le monde. Les élections ne vont pas changer grand-chose à ce sujet. Les Libanais choisissent leurs candidats en fonction de leur appartenance confessionnelle, car tout est organisé dans leur vie en fonction de cela:ils naissent dans un hôpital de leur confession, fréquentent une école de leur confession, etc.

En 2009, une Maison de la laïcité était créée à Beyrouth, pourquoi n’a-t-elle pas fonctionné?

Il y a eu un mauvais casting. Nous avions récolté des fonds pour financer le local et pour un mi-temps et le but était que cette personne prenne en charge la gestion par la suite. Mais le responsable n’a pas œuvré dans ce sens. Il y a un manque de maturité dans le pays pour faire avancer le système, les projets, en mettant son ego de côté. C’est dommage, car lorsque la Maison de la laïcité était ouverte, il y avait de l’intérêt de la part de la population, de l’animation, même si la communauté laïque est restreinte. On compte un vivier d’un millier de personnes. Et les forces laïques ne sont pas structurées, elles manquent de moyens.

Lors des prochaines élections, ce sera la première fois que le scrutin sera proportionnel, cela risque-t-il de bouleverser les résultats?

Pas vraiment, dans le sens où il ne s’agit pas d’un scrutin proportionnel direct, puisque l’on tient compte des quotas confessionnels et qu’il faut aussi tenir compte des 15 circonscriptions électorales. Au Liban, les élections sont normalement bien tranchées, avec de grands blocs. Il y avait donc une certaine frustration, les gens n’ayant pas l’impression que leur vote comptait avec l’ancien scrutin, qui était de type majoritaire. Il y a toujours un retour vers sa communauté, surtout en cas de crise.

Quels sont donc les enjeux?

Il y a un enjeu local pour ces élections, notamment celui de la non-reconnaissance des Palestiniens, qui deviennent des citoyens de seconde zone, avec la crainte de leur poids démographique. Mais aussi un enjeu régional. Nous sommes dans une région qui vit un grand clash, avec une redistribution des cartes et deux clans – États-Unis/Israël/Arabie saoudite d’une part et Iran/Syrie/Russie d’autre part. Cela complique la manière de voter. Saad Hariri (actuel président du Conseil des ministres, NDLR) a toujours été l’allié des Saoudiens, de par son appartenance à la communauté sunnite. Il a la double nationalité, son père a fait du business en Arabie saoudite, c’était l’enfant gâté de la famille saoudienne.

Si l’on revient brièvement sur la rocambolesque détention du Premier ministre Saad Hariri, quelle fut la réaction des Libanais?

Le prince héritier saoudien doit consolider son pouvoir face à différents enjeux internes:par exemple le poids des autres princes du pays, qu’il a récemment emprisonnés au Ritz, avant de leur réclamer de fortes sommes d’argent. Mais aussi des enjeux régionaux (cf. rivalité avec d’autres grandes puissances régionales, comme l’Iran). Sans oublier la guerre au Yémen et à Bahreïn, dont personne ne parle. À l’intérieur du Liban, la détention de Saad Ariri a été mal acceptée et il n’était pas libre de ses mouvements, malgré ses affirmations. Mais les Saoudiens n’ont pas manœuvré intelligemment, car ils l’ont arrêté un vendredi et le week-end, les marchés financiers sont fermés. S’il avait été arrêté un lundi, cela aurait provoqué une crise financière et mis le pays KO. La première réaction des Libanais fut donc celle de la peur, mais personne n’est descendu dans la rue, car personne n’a été dupe de la mascarade. Mais la crainte de l’effondrement économique du pays était là. De même qu’un sentiment d’honneur bafoué. Au final, rien ne s’est passé et cette opération saoudienne, qui visait la mise au pouvoir du frère de l’actuel Premier ministre, a été un flop.

Autre point important: il n’y a toujours pas de parité dans la représentativité des femmes et des hommes?

Il s’agit d’une société fort patriarcale. La question des quotas s’est posée en politique, mais le Libanais a encore des difficultés à imaginer qu’une femme puisse être cheffe. Il y a des mouvements féministes, mais encore beaucoup de chemin à parcourir.

Qu’en est-il des droits des LGBTQI+?

C’est un peu compliqué. C’est difficile en tant que mouvement laïque organisé de mettre leurs droits en avant, car la société n’est pas prête à cela. Même s’il y a une évolution. On a vu s’organiser une Gay Pride, le drapeau arc-en-ciel est parfois brandi lors de manifestations, mais c’est toujours vu négativement par une majorité de la population. La société libanaise avancera plus facilement sur les questions d’avortement ou d’euthanasie que sur celle-là. Finalement, c’est quoi le gros enjeu laïque au Liban?C’est d’abord être un citoyen qui a le droit de penser comme il veut. Un citoyen que l’on ne regarde pas en se demandant d’où il vient et trouver un vivre ensemble en dehors des religions. Si on arrive déjà à cela, je serai content!