Espace de libertés – Juin 2015

« Faire pousser de belles graines »


Dossier
Pour stimuler la cohésion sociale, la Fondation Roi Baudouin mise sur l’émulation positive. Après avoir accompagné plusieurs centaines de projets, Ann De Mol et Ludwig Forrest perçoivent des résultats concrets. Dans l’entreprise ou dans le sport, les mentalités évoluent.

Les deux conseillers forment un tandem incontournable au sein de la Fondation Roi Baudouin. D’un côté, Ann De Mol, qui gère les projets jeunesse, sport et cohésion sociale. De l’autre, Ludwig Forest, en charge de la philanthropie. Il guide les personnes ou les entreprises qui veulent investir de l’argent dans des projets. «La philanthropie est complémentaire à l’action de l’État, souligne-t-il. Notre spécificité, c’est d’agir sur des thèmes où l’État n’a pas encore agi. C’est une manière pour la société civile de contribuer aussi à l’intérêt général.»

Quarante ans après sa création, la Fondation Roi Baudouin a distribué plusieurs dizaines de millions d’euros, à destination de projets menés par des petites associations de quartier comme de grandes ONG internationales. Le point commun entre ces acteurs de la société civile? Ils créent une émulation positive et sont des révélateurs des talents. «Un appel à projet, c’est une manière de saupoudrer, de faire pousser de belles graines, puis de mettre ces [jeunes pousses] ensemble», analyse le conseiller en philanthropie. Ces projets peuvent ensuite inspirer les décideurs. «On tente de réussir le plus possible. Parfois, on échoue. Mais on apprend toujours. On en tire des conclusions, que l’on présente à l’État ou aux acteurs de la société civile pour que ce soit repris et mis en place

Connaître les autres pour se connaître soi-même

On ne s’intéresse pas au sport pour le sport, mais comme un moyen de s’intégrer dans la société.

Le sport constitue une thématique privilégiée de la Fondation, car il attire un large public et permet de tisser des liens. Pour des jeunes en difficulté, c’est aussi un moyen de trouver des repères. «On ne s’intéresse pas au sport pour le sport, mais comme un moyen de s’intégrer dans la société, souligne Ann de Mol. Pour le développement personnel de certains jeunes, cela a des effets positifs. Le sport permet d’apprivoiser la notion de “je gagne ou je perds”. On découvre aussi l’estime de soi.»

Un exemple dont Ann de Mol est particulièrement fière, c’est le «sport de quartier». Tout commence dans les années 80. La Fondation Roi Baudoin remarque que les populations les plus défavorisées sont aussi celles qui ont le plus de mal à s’affilier à un club sportif. La conseillère regrette que «quand on a trois ou quatre enfants, financièrement, ce n’est pas évident». La Fondation a donc soutenu des projets qui ont amené le sport dans les quartiers pauvres. On y a mis en place des clubs ouverts et peu onéreux. Dès ce moment, bon nombre de jeunes ont commencé à s’impliquer. «On a vu que pour les groupes à risque et les jeunes d’origines étrangères, c’était un moyen d’intégration dans leurs propres quartiers», explique Ann De Mol. Ensuite, par effet d’émulation, cette initiative de «sport de quartier» a inspiré les services de jeunesse de certaines communes. Elles ont repris la formule à leur compte et ont reproduit le concept. Pour la Fondation Roi Baudouin, la mission est accomplie.

Au-delà du jeu, le sport est un prétexte pour transmettre des valeurs de respect, de vivre ensemble ou encore de fair-play. Le tournoi sportif «Brussels plays 4 peace», organisé en avril dernier à Woluwe-Saint-Lambert, symbolise bien cet esprit. Cet événement grand public a attiré plus de 200 jeunes. Ludwig Forest se souvient: «L’organisateur fait partie de la communauté marocaine. Il m’a dit que le plus beau moment a été quand les Juifs ont joué au football avec les Arabes. Ils ont parlé de kippa et d’autres choses.»

Le sport business: un modèle à suivre?

À y regarder de plus près, le sport traîne tout de même quelques inégalités avec lui. Dans la majorité des disciplines, les hommes et les femmes sont séparés; quid des personnes en mauvaises conditions physiques? Sans parler des jeunes des quartiers populaires qui admirent des sportifs multimillionnaires. Réponse de Ludwig Forest: «Dans le sport à haut niveau, une réflexion a été entamée. Il y a des joueurs aux origines modestes, qui ont gravi les échelons et qui veulent rendre à la société. On a atteint une certaine maturité pour utiliser le sport comme acteur de cohésion sociale». Il donne l’exemple de Lionel Messi ou de Zinedine Zidane, qui ont créé leur propre fondation philanthropique. Ann De Mol se souvient qu’avant «c’était seulement de la charité. Les sportifs allaient rendre visite aux enfants dans les hôpitaux. Il n’y avait aucun effet sur le long terme».

Par ailleurs, la Fondation Roi Baudouin est-elle prête à collaborer avec toute personne ou entreprise, du moment que l’ambition affichée est louable? La question s’est posée dans les années 2000, lorsque l’équipementier américain Nike, pas forcément reconnu pour son fair-play du point de vue social, a pris contact avec la Fondation Roi Baudouin. Ludwig Forest reconnaît que son organisme a pris «un petit risque. Il y a eu tout un débat, une réflexion». Ann De Mol met en avant le fait qu’il y a eu «un audit externe. L’avis a été positif, ça a été une garantie pour nous. Il nous est déjà arrivé de refuser de collaborer avec des entreprises». Ludwig Forrest rassure: «On s’était mis d’accord: en cas de soucis, on arrêterait la collaboration avec Nike». L’équipementier sportif et la Fondation Roi Baudouin ont mené différentes missions dans la lutte contre le racisme ou le sida, mais aussi pour l’intégration des personnes en situation de handicap.

Ann De Mol regarde l’avenir avec enthousiasme et réalisme: «Certains acteurs ont besoin d’un soutien, d’un stimulus pour bouger. Il y a certes une évolution positive, mais beaucoup reste à faire.» La Fondation Roi Baudouin a encore quelques belles graines à faire germer.