Espace de libertés – Juin 2015

À Frameries, sur le terrain du fair-play


Dossier
Reportage dans la commune boraine dont toutes les écoles pratiquent le respect, au quotidien. Au travers du sport, mais aussi de tous les actes de la vie.

Frameries, commune du Borinage, 21 000 habitants entre ville et campagne, compte un grand musée éducatif, le PASS (Parc d’aventures scientifiques et de société) et un auteur mythique, Jules Dufrane dit Bosquétia, célèbre pour ses fables. Près du bois de Colfontaine, au village d’Eugies, l’école du Centre et ses 90 enfants ont inauguré en décembre 2014 le panneau « Cour du fair-play ». Il proclame: « Le respect, c’est la racine du sport ». Quand un écolier oublie ce conseil, l’écriteau aide à réfléchir à la meilleure manière de vivre en société. Pour la directrice Jocelyne Cornez, le projet de l’école, c’est « le respect, sous toutes ses formes. Il guide le travail de notre équipe ». L’échevine de l’Enseignement Florence Van Hout, avocate au barreau de Mons, approuve: « Le fair-play repose sur le respect. Au départ du sport, l’idée est celle du respect dans tous les actes de la vie… » Ce qui explique sa présence à Eugies, au moment où la semaine de la propreté se déploie dans l’entité. D’où une opération de collecte des papiers qui traînent dans le quartier de l’école avec M. Frédéric Naveau, professeur de gymnastique.

Paquets de cigarettes et sachets de chips

Avant le départ, exercice de théorie. Les enfants guident leur échevine jusqu’à des dessins affichés au mur d’une classe. Jann, 10 ans, Julie, 8 ans, Giuliano, 9 ans, et Devon, 11 ans, ont dessiné un terrain de foot avec ses joueurs, des photos et des symboles et écrit « Si tu ne veux pas de carton, respecte l’arbitre et les joueurs ». Pour ce dessin, ils ont uni leurs pensées, réfléchi au monde. « Jouer ensemble en s’amusant, c’est ce qui compte le plus. » Dans la cour de récré, ils jouent au foot mais ramassent aussi tout ce qui traîne. Les déchets sont triés. Tout est matière à enseigner.

Les enfants portent des gants pour ramasser les déchets. Des sacs jaunes se rempliront au fil de la balade dans la cité du Levant. Porteurs et ramasseurs sont désignés. Consignes : suivre le professeur, traverser en groupe, demander avant de ramasser, ne pas prendre de verre.

« Chaque classe a deux cours de gym par semaine. Nous abordons le sport sous toutes ses formes, de l’individuel au collectif. Des activités comme l’indiaka, le frisbee, l’acrogym intéressent les enfants. L’acrogym, par exemple, se fait en musique. Les enfants font des pyramides humaines. Chacun a sa responsabilité. Aux porteurs de soutenir les voltigeurs. En 4e, les écoliers passent aussi le brevet de natation, c’est important. »

En route! Traverser la rue, marcher le long de l’asphalte jusqu’à la cité du Levant, avec ses maisons collées les unes aux autres. Des conteneurs déposés par l’administration communale attendent les encombrants. « Monsieur, j’ai trouvé une pièce de 2 euros! », s’exclame un écolier. « Nous achèterons des bonbons et partagerons », dit M. Frédéric. Le partage, toujours. Les sacs se remplissent, même si le quartier est plutôt propre. Plus qu’en ville. Le respect de l’environnement peut dépendre d’une seule personne qui donne l’exemple. Paquets de cigarettes froissés, sachets de chips, batteries de GSM, papiers, plastiques s’accumulent. Les coquilles d’escargots? Biodégradables. Tous les gosses connaissent cette notion, elle a été abordée en classe.

« Si on ne leur apprend pas, ils ne sauront jamais »

À la barrière de sa maison, une grand-mère sourit. « C’est bien, ce qu’on leur montre! » Bianca Ritondo rappelle toujours aux enfants de respecter leur quartier, de ne rien jeter par terre. « Si on ne le leur apprend pas, ils ne sauront jamais! »

Un voisin, routier international, approuve… « De ma cabine, je vois les tas de déchets s’amasser le long des routes, même dans les environs de Paris, et c’est triste. » Personne, aujourd’hui, ne dira à l’échevine que nettoyer les rues est la responsabilité des autorités locales et pas le problème des gosses. « Cette fois-là, j’avais répondu que la responsabilité commence par l’individu. » Quant aux enfants, ils n’hésitent pas à dire aux adultes qu’ils agissent mal en jetant leur paquet de cigarettes ou de chips par terre. Raphaël, 12 ans, est fier de participer au nettoyage des rues: « J’expliquerai ce que nous avons fait à mes parents. Ils seront contents. » La petite Rosa confie que son prénom rappelle la reine des fleurs. En équipe, ils veulent que leur quartier soit beau comme les fleurs. Ces gosses sont plus conscients que certains adultes. Au cours de cette promenade, tout le monde sourit. « Vous savez, le sourire fait des miracles », observe la directrice. Fair-play, Mme Jocelyne. Avant d’être directrice, elle a enseigné au Champ-Perdu. Son métier, elle l’aime. On le ressent.

Avec tous les services

Après la balade avec les écoliers d’Eugies, Mme Van Hout revient sur les étapes de la collaboration avec Panathlon. Contactée par l’association, la commune de Frameries – où la solidarité fait partie de la culture locale– a saisi la balle au bond. À l’automne 2014, une exposition de photos sur l’esprit du sport a été montée dans le hall. Durant la même période, une opération sur le thème de « Sportez vous bien, mangez malin » a sensibilisé à l’importance d’une nourriture équilibrée, légumes, fruits, protéines, associée à l’exercice. Dans les écoles, pas de chips ni de sodas pétillants. Puis ce fut le concours de dessins pour les écoliers et l’inauguration des cours de fair-play, dans les écoles qui ont entamé l’expérience, soit celles de la place Calmette, d’Eugies et de Sars-la-Bruyère. Les autres suivront.

Lors de l’inauguration, à l’occasion du marché de Noël, en présence des enfants, des parents et des enseignants, les lauréats du concours de dessins ont été fêtés. Échevine depuis deux ans, Florence van Hout travaille avec tous les services de la commune. La population est très mélangée, il faut apprendre aux enfants à respecter l’Autre. Pour un travail sur la mémoire qui unit les gens, des personnes d’âge mûr viennent raconter « leur » Frameries dans les écoles. Tout est lié, relié au respect: sortir de l’école pour contribuer à rendre les rues plus propres, expliquer pourquoi ils font ce travail, rejoint la pratique du fair-play. Le projet s’étalera sur trois ans. Toutes les écoles de la commune auront leur tour. « Après cette expérience, à Frameries, les cours de récré s’appelleront toujours “Cours du fair-play”. » Ou quand le fair-play se mue en cause citoyenne intergénérationnelle, communicative et pérenne.