Une interview d’Olivier Willocx
Administrateur délégué de Brussels Entreprises Commerce and Industry (BECI), organisation qui représente les 35 000 entreprises actives à Bruxelles et leur donne des conseils –en balayant un spectre très large allant de la concertation sociale jusqu’à l’accompagnement administratif en passant par le conseil en ressources humaines–, Olivier Willocx était donc un interlocuteur tout indiqué pour nous parler du fair-play en entreprise.
Espace de Libertés: D’après vous, comment définir le fair-play en entreprise?
Olivier Willocx: Il faut d’abord bien s’entendre sur les termes! Nous préférons parler de «responsabilité sociétale» plutôt que de»fair-play en entreprise». C’est plus clair et explique vraiment en quoi il en va de la responsabilité de chacun pour faire régner une bonne ambiance et une compréhension mutuelle sur le lieu de travail. Même si, finalement, nous sommes d’accord: il s’agit toujours de toute façon de pointer les bonnes pratiques à observer dans la vie en entreprise.
Dans quels cas précis l’entreprise doit-elle, par exemple, observer ces «bonnes pratiques»?
Je pense particulièrement au moment, toujours critique, du licenciement. Il existe deux façons de procéder. On peut juste convoquer l’employé, lui dire: «On ne veut plus de toi. Tu fais tes caisses et tu t’en vas.» Ou alors s’entendre. Et faire en sorte que les deux parties sortent gagnantes du processus. Histoire que la fin de la prestation de l’employé dans l’entreprise se déroule le mieux possible pour tout le monde. Et que ce même employé puisse retrouver un autre travail plus facilement, puisque l’on privilégierait un arrangement à l’amiable. Autrement dit une démission. Qui, donc, ne le forcerait pas à postuler avec l’étiquette de «viré» sur son front et sur son CV. C’est une question de respect et de confiance dans les deux sens.
De manière générale, peut-on établir des ponts entre le fair-play et la culture d’entreprise?
Ces deux concepts se retrouvent surtout autour du fait de ne pas établir trop de règles écrites. Car ces dernières suscitent surtout un sentiment de méfiance dans le chef de l’employé. À la place de règlements de travail qui s’étirent sur des dizaines de pages, je préfère une note de service succincte reprenant les orientations générales à suivre. Mais rien de plus! Le reste se réglera au cas par cas, et de préférence par la discussion.
Bref, on privilégie la pratique!
C’est exactement ça! Plus on écrit des règles, en les fondant donc quelque part dans le bronze, plus certains employés peuvent être incités à les contourner. Ou à les dévier à leur profit. Alors que ce n’était pas l’esprit de la règle à la base. Bref, il faut travailler au cas par cas. Sinon, on risque que certains «avantages» accordés à quelques membres du personnel puissent être revendiqués, de manière parfois indigne, par les autres.
C’est-à-dire?
Prenons un exemple concret: le décès d’un grand-parent. Pour certains, quand l’aïeul était très âgé et qu’ils s’attendaient à son décès, cela se passe en général le moins mal possible. C’est-à-dire que l’employé s’absente quelques jours, le temps de régler des affaires privées et d’assister aux obsèques. Mais certains décès peuvent se produire de manière plus inopinée, ou le lien de parenté et émotionnel peut être plus fort dans certains cas que dans d’autres. Bref, à ce moment-là, le décès est vécu de manière plus dramatique. Là, je trouve logique de proposer à l’employé un plus long congé. Pour qu’il se remette et digère la nouvelle… Souci potentiel, et je l’ai vécu: si on écrit la règle octroyant des congés plus longs que les prescrits légaux en cas de décès d’un proche, une foule d’employés, même ceux qui ne sont pas confrontés à cet accident de la vie, risquent de s’en prévaloir. Ce qui n’était évidemment pas l’objectif initial de la mesure. Un bon fair-play en entreprise est donc, aussi et surtout, un fair-play qui s’adapte à chacun.
Mais ce minimum de règles écrites ne se heurte-t-il pas à la sécurité au travail?
Il est évident que cette façon de procéder s’adapte mieux aux entreprises de services qu’aux entreprises de production. Dans ce second cas, il est bien entendu essentiel de développer une charte reprenant les principales règles de sécurité et d’hygiène.
Mis à part l’esprit qui primerait la lettre du règlement, quelles sont les autres dimensions du fair-play en entreprise?
Il y en a beaucoup! Notamment la mobilité, la diminution du stress et l’aménagement du temps de travail. Et puis, le fair-play doit aussi tenir compte d’un paramètre essentiel: la vie, tout simplement! Cela passe par le fait de ne pas formuler de remarques à un employé qui arrive parfois en retard à cause des embouteillages ou d’un train resté à quai. Ce sont des choses qui sont toujours arrivées. Mais, de nos jours, il est presque du devoir des patrons d’entreprise de tenir compte de ces soucis potentiels. Histoire de ne pas faire inutilement monter le stress sur le lieu de travail.
Actuellement, quand on entend parler des conditions de travail chez Amazon, par exemple, on a surtout l’impression que le progrès en général et les bonnes pratiques en particulier auraient plutôt tendance à reculer qu’à avancer…
Une chose est sûre: la souplesse des règles est bien entendu plus simple à mettre en place dans le cadre de petites structures. Chez Amazon ou dans toute autre grande boîte, avec un personnel très nombreux et des équipes qui travaillent 24 heures sur 24, il est évidemment plus complexe de gérer au cas par cas. Je ne suis pas naïf non plus. Je sais que le respect mutuel entre les employés et la direction est plus simple à obtenir dans des endroits où tout le monde se connaît.
Comment procède un patron pour se faire respecter par son équipe?
D’abord, on ne cherche surtout pas à être copains avec ses collègues! C’est la pire des choses. Car, alors, on entre dans la zone trouble du manque de repères sociétaux. Ensuite, et c’est tout aussi fondamental, on cherche à comprendre ce que vivent les gens. Cette façon de procéder instaure un rapport de confiance qui, au final, bénéficie à chacun.
À condition de ne pas confondre respect et formalisme…
C’est effectivement fondamental! Je ne demande par exemple jamais que l’on m’appelle «patron». C’est vieillot et péjoratif. Par contre, il faut pratiquer le fait d’être patron. C’est très différent! Et cette fonction implique un préalable qui résume à lui seul tout le concept de fair-play en entreprise: ne jamais profiter des faiblesses des autres.