Espace de libertés – Juin 2015

Vers l’émergence de Cités de l’éducation


École
Comment imaginer une école réellement émancipatrice pour tous? Au terme d’une recherche-action, une nouvelle forme éducative est née, faisant du partenariat école-famille-communauté la clé de voûte de l’ensemble du processus éducatif.

La Cité de l’éducation doit être vue comme une unité de vie au sein de laquelle l’éducation est l’affaire de tous; elle concerne tout autant les responsables politiques que les institutions (scolaires, sanitaires, sociales, culturelles…). On y pratique la co-éducation visant la protection et l’émancipation des enfants, mais aussi des adultes, en vue d’un avenir collectif favorable. L’accent est fortement mis sur le soutien à la parentalité ainsi que sur l’accompagnement des professionnels de l’action sociopédagogique (enseignants, psychologues, intervenants sociaux, éducateurs, puéricultrices, médecins, artistes…). Les scientifiques (universités, hautes écoles…) y sont aussi requis. Au sein d’une Cité de l’éducation, les sphères politique, scientifique et sociopédagogique (parents et professionnels) agissent en partenariat en vue d’atteindre des objectifs communs.

Contrer les inégalités à l’école…

Depuis plus de 50 ans, les recherches montrent que les enfants issus d’un milieu défavorisé réussissent moins bien à l’école que ceux issus d’un milieu favorisé. Les réformes scolaires successives ont certes tenté de remédier à la situation mais le phénomène de la reproduction sociale reste toujours aussi actif et l’échec scolaire atteint toujours inéluctablement la classe populaire. Seule, l’école ne peut généralement pas grand-chose. Isolées, les familles sont tout aussi impuissantes à enrayer les déterminismes qui les atteignent. L’actuelle métamorphose de la société n’arrange guère la situation: l’individualisme prend le pas sur la solidarité, le tissu social se dégrade, il n’y a plus de modèle éducatif auquel se référer, la pauvreté atteint de plus en plus d’enfants… Manifestement, l’éducation est en crise.

… par la co-éducation

De 2008 à 2013, nous avons mené une vaste recherche-action «Parents partenaires de l’éducation» dans trois villes: Charleroi, Péruwelz et Etterbeek (1). Subsidiée par le ministère de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, elle s’est centrée sur la stimulation du langage oral au sein de classes maternelles dans une perspective de co-éducation école-familles. Des fascicules d’activités de langage, travaillés en classe, étaient distribués ensuite dans les foyers (où les enfants prenaient l’initiative d’expliquer les activités à leurs parents) puis revenaient en classe. Parents et enseignants discutaient alors de leurs observations. Des réunions de concertation, des séminaires, des colloques, des portes ouvertes, des forums… ont été organisés en permanence. Des rencontres parentales ont eu lieu dans les écoles, une coopérative d’activités de co-éducation a vu le jour. Autant d’activités qui ont permis un rapprochement entre les institutrices et les parents: avec un référentiel commun, il était possible de discuter, d’expérimenter, de stimuler, d’inventer… dans un esprit de partage et de communication (au lieu d’un climat tendu, voire conflictuel). Observation majeure: les acteurs éducatifs disposaient de ressources insoupçonnées et d’extraordinaires richesses existaient dans tous les milieux. Par ailleurs, les gains de langage chez les enfants se sont révélés significativement supérieurs à ceux des enfants n’ayant pas participé à l’expérience. Un constat: les progrès étaient supérieurs chez les enfants de milieu défavorisé. Et on sait combien le langage est un vecteur d’ascension sociale…

Les forums de co-éducation ont été des moments d’échanges qui ont permis à des organismes de la communauté de s’associer à l’école pour créer des alliances éducatives: bibliothèques, ludothèques, maisons de quartier, CPAS, crèches, ateliers de théâtre… C’est en observant une telle mobilisation que s’est développée l’idée de créer des Cités de l’éducation, devenues progressivement des cités résilientes. Une Cité de l’éducation se construit chemin faisant et reste constamment en chantier.

Et maintenant?

Les activités se poursuivent en Belgique. De nouvelles expériences voient le jour. Par ailleurs, des villes étrangères, dont certains chercheurs ont observé de près le projet sont devenues des Cités de l’éducation et un Réseau international des Cités de l’éducation (RICE) (2) a été créé.

Les Cités de l’éducation ne sont plus une utopie! L’expérience s’est réellement révélée efficace car chaque partenaire a été respecté. Ainsi, on n’a pas fait l’école à la maison, les enseignants n’ont pas «contrôlé» les familles, celles-ci ne se sont pas ingérées dans les affaires de l’école… Si ces balises sont prises en compte, la Cité de l’éducation constitue un extraordinaire moyen de reliance et de développement, voire de résilience, de toute la communauté.

 


(1) Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet (avec la collaboration de Vanessa Della Piana, Marcelle Houx et Bruno Humbeeck), L’éducation émancipatrice. De la co-éducation à la Cité de l’éducation, Paris, Duval, 2015.

(2) Voir le site de l’Association internationale de formation et de recherche en éducation familiale: www.aifref.org.