Espace de libertés – Juin 2015

No fair-play en politique: l’empirisme du milieu


Dossier

Le fair-play s’érige comme une digue pour la confidentialité utile à toute bonne gouvernance, son absence fabrique des passoires.

Quelques semaines avant l’inauguration de Mons 2015, les équipes s’affairent. Du retard? Un peu. Des problèmes? Non, un problème. À côté, l’œuvre d’Arne Quinze qui s’effondre, c’est du folklore. Le gros souci est simple: comment éviter que le Premier ministre prenne la parole lors de la soirée inaugurale? Il y a des rires. Il y a des blagues. Elles sont parfois de mauvais goût. L’enjeu est colossal.

Plutôt qu’une tribune, Charles Michel pourrait être flanqué devant une caméra! Quelques mots, quelques secondes. Un bête clip avec quelques autres personnalités. Le tour est joué. L’humiliation du bleu au royaume des rouges se concocte avec minutie. Le tunnel en bois d’Arne Quinze n’a pas empêché de dormir. La présence du chef du gouvernement fédéral, si!

L’ancien Premier ministre ne doit donc finalement pas se farcir le discours monocorde de son successeur. Une fois le national perdu, Elio Di Rupo ne partage pas son pouvoir local. Il lui reste quand même ça. Il gagne une (très) petite bataille. Charles Michel ne s’exprime finalement pas. Les institutions ne sont pas respectées, injustement. L’anecdote est révélatrice. Le fair-play n’a que très peu droit de cité en politique.

«Fair»: juste, franc, clair. «Play»: jeu.

En politique, les règles du jeu sont connues. Les égos dominent. L’esprit de revanche plane. Les rapports de force dictent les attitudes. La tactique fige les postures. Les sentiments font et défont les ententes. Quant au fair? Ni marque de fabrique, ni achat compulsif et encore moins denrée durable.

Il est totalement inimaginable de transférer des stades les enfants qui brandissent la banderole de la Champion’s League «UEFA Respect Fair Play Ranking» vers des hémicycles parlementaires. Ils se feraient houspiller, les pauvres.

Ou quand la correction est d’abord vue comme une faiblesse

La jouer fair-play? Adopter une conduite honnête, en toutes circonstances? Voilà une notion insolite, étrange, voire étrangère. Si la correction est appréciée dans le milieu, elle toujours sujette à caution et à suspicion. Elle pourrait même caractériser l’élu sans pouvoir et sans courage. Il ne faut attendre ni élégance, ni excuses après un coup foireux. Ce serait une faiblesse –c’est dire les valeurs qui animent le jeu. La balle n’est jamais remise au centre. Pas d’entre-deux. La grande et petite histoire avance sans attendre d’éventuelles hésitations et convulsions.

Quand Isabelle Durant, en 2006, décide de calfeutrer Laurette Onkelinx dans l’opposition à Schaerbeek, l’affaire révèle une absence totale de fair-play à de nombreux égards. La signature d’un accord préélectoral (qui sera dévoilé dans la presse) entre PS, Ecolo et cdH privait l’arbitre d’influer pleinement sur le match. L’arbitre du jeu étant en l’espèce le citoyen. Le tacle par-derrière de la coprésidente d’Ecolo de l’époque à ses futurs ex-partenaires est cruel dans la trahison et dans la méthode. Elle laisse socialistes et centristes dans le vent, dans l’inconnu. Laurette Onkelinx va jusqu’à se jeter dans la gueule du loup à l’Hôtel de Ville devant les caméras et sous les huées. Le bourgmestre est reconduit. Ses troupes exultent. Entre quolibets et cris de joie, l’image –encore aujourd’hui– traîne dans la carrière de l’ex-ministre. Pourquoi autant de cruauté? Les verts devaient puissamment montrer la fin de leur coopération structurelle avec les rouges. Ce fut fait avec tambours et trompettes, sans aucune délicatesse et sans correction.

L’électeur est le premier grugé des incorrections politiques

Dans cette histoire, l’électeur aurait-il retrouvé son mot à dire? Non, bien sûr. La stratégie est la raison de tous ces événements. Pour preuve, pendant que se noue le coup de théâtre à Schaerbeek, un autre «drame» se joue parallèlement quelques kilomètres plus loin. À la Ville de Bruxelles, le PS et le cdH se vengent. Ecolo est bouté hors de la coalition telle qu’elle était prévue.

C’était il y a déjà dix ans. C’était aussi il y a trois ans. Élections communales encore. Même scénario à Bruxelles-Ville et vengeance à Molenbeek ainsi qu’à Verviers. Philippe Moureaux feint d’être surpris par les mœurs qui le défenestrent. C’était encore hier à Lens avec Isabelle Galant, la sœur de la ministre de la Mobilité. Celle-ci hurle à l’imposture démocratique suite au vote de la motion constructive pour démettre la frangine bourgmestre.

Quand les élus sont les victimes du manque de fair-play, ils sont outrageusement réactifs. Quand ils sont les auteurs de comportements en indélicatesse avec l’élégance, ils se réfugient derrière les règles du jeu. Moralité, justement? Pathétique, le plus souvent. Ce qui se tramait en coulisse a l’art, de plus en plus, de se dérouler en combats de rue, à la vue de tous.

© Olivier WiameLes coups bas de plus en plus mis en scène

Benoît Lutgen s’en prend directement à Charles Michel sur le plateau du journal télévisé de 19 heures sur RTL-TVI. Le président du cdH accuse celui qui est alors président du MR de bloquer les négociations. La situation est tendue. Nous sommes dans la plus longue crise politique que la planète ait vue. Benoît prend Charles au mot, avec le tutoiement. Il l’accuse de ne pas dire la vérité. Quelques années plus tard, il le traite de «menteur» dans la presse. Un cran toujours plus loin. Même leurs réunions secrètes se retrouvent dans la presse. En off, le MR décrit Lutgen comme un «sale gamin de merde» et le cdH dépeint Charles Michel comme un «hypocrite peu fiable».

Le respect de l’adversaire n’existe plus beaucoup. Paul Magnette a demandé à Charles Michel d’enlever son sourire narquois lors d’une négociation budgétaire. Fuite de la scène dans la presse. Le fair-play s’érige comme une digue pour la confidentialité utile à toute bonne gouvernance, son absence fabrique des passoires.

Fair-play, une question de courage

La mauvaise foi s’embarrasse peu du fair-play. Dans des majorités réunissant des partis différents, il n’est pas anormal de concéder. Une concession n’est pas une compromission. Pourtant, Elio Di Rupo a le cœur qui saigne quand il évoque son gouvernement qui a décidé d’exclure des chômeurs. Pourtant, Charles Michel ose affirmer que le saut d’index est désormais une «mesure sociale» alors qu’il n’en voulait pas. Pourtant, Bart De Wever pourfendait l’ancien gouvernement qui n’avait pas de majorité flamande et voilà qu’il trouve ce cas de figure normal quand les francophones sont dans un scénario bien pire. Aucune cohérence. Il est aussi là le manque de fair-play. Bon nombre de décisions et de positions ne sont pas assumées. Les élus tentent alors de sauver la face dans l’engrenage médiatique. Le fair-play est surtout une question de courage politique tant à l’égard des autres qu’à l’égard de soi. Cette notion est donc aussi un miroir, tel un juge.