Décédé il y a 10 ans, Willem Pauwels a laissé derrière lui une œuvre graphique très riche et empreinte de son combat politique en faveur des droits de l’homme et contre toutes les formes d’injustice sociale. Pourtant, aujourd’hui, les portes du musée Wilchar sont closes et rien n’est prévu au programme pour lui rendre hommage…
« Quand je ne serai plus là, je sais que mon œuvre sera récupérée par le marché. C’est la loi du marché… Mais je refuse d’y rentrer. » (1) Sans doute sa fille et héritière a-t-elle voulu éviter cette récupération. Effectivement, dix ans après sa mort, Willem Pauwels ne se vend pas. Mais il ne se voit pas beaucoup non plus.
Plus connu sous le nom de Wilchar –contraction de Willem et Charles, l’associé avec qui il fonde au début des années 30 une petite entreprise publicitaire, Les créations Wilchar, qu’il délaisse vite au profit de la création d’affiches politiques pour le POB et le PC–, le lithographe-affichiste, peintre et linograveur belge est né le 1er novembre 1910 à Saint-Gilles et décédé le 28 juin 2005 à Uccle.
Un artiste militant et résistant
«Je ne puis rester un témoin passif et indifférent des phénomènes sociaux au milieu desquels je vis», dit Wilchar. Alors il monte au créneau. À 15 ans, il adhère au Parti communiste. Résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, il paie cher son combat contre le fascisme: le 2 avril 1943, il est arrêté et déporté au fort de Breendonk comme «terroriste», puis à la citadelle de Huy. La terrible expérience de déshumanisation vécue avec les autres détenus, il l’exprimera avant même la libération à travers une trentaine de gouaches rehaussées à l’encre de Chine que le Mémorial a acquises avec l’aide de la Fondation Roi Baudouin. Elles n’y sont malheureusement plus exposées.
Antifasciste, cet «anartiste» presque autodidacte est anticlérical, anticapitaliste, antiroyaliste et contre l’Art «comme une tour d’ivoire». Sans majuscule, l’art qu’il produit et défend dans des périodiques (2), aux antipodes de «la culture bourgeoise élitiste», se veut démystifié: il plaide pour une «peinture populaire lucide».
Fondée en 2000 à l’occasion du 90e anniversaire de l’artiste et avec son soutien, l’association Les Amis de Wilchar s’est vue interdire, à la mort de l’artiste, toute activité et toute reproduction d’œuvres sur son site web. Très active du vivant de Wilchar, elle a été dissoute en 2007, ce que Denis Meunier, ancien secrétaire, regrette amèrement.
Une œuvre distillée
En 2006, la fille de Wilchar fait don de 23 peintures sur le thème de la résistance au Musée royal de l’Armée –où elles ne sont malheureusement pas montrées au public pour le moment mais peuvent être consultées sur rendez-vous au cabinet des estampes– qui lui consacrera une exposition monographique la même année. Depuis, partout en Belgique, ses œuvres ne sont plus visibles que dans le cadre d’expositions collectives temporaires. Fin 2012, nous avons pu en contempler quelques-unes lors de la visite à Malines de « Newtopia. The State of Human Rights » (3). En 2013, parmi «les 100 meilleures œuvres d’art belges selon Claude Blondel (4)» de l’expo «Baza(a)r Belg(i)ë» à la Centrale (Bruxelles), une de ses œuvres les plus connues: Ceci n’est pas une matraque. Et en 2014, il figurait en tête de liste des graphistes exposés au BAL (Liège) dans cadre de l’exposition «Affiches communistes en Belgique. Regards militants sur le XXe siècle».
En 2015, on aurait pu croire que son œuvre serait mise en exergue… Au contraire, depuis le début de l’année, le musée Wilchar à Alsemberg –qui abrite la quasi-totalité de sa production à l’exception des pièces qui se trouve au Cinquantenaire et à Breendonk, de nombreux documents et sa presse à lino–, n’est plus accessible au public. Richard Olivier, réalisateur de Wilchar, les larmes noires, a néanmoins pu le visiter en avril dernier: «Le musée a dû fermer ses portes car l’immeuble –un ancien couvent, c’est un comble!– a été mis en vente. Mais personne ne fera la dépense de l’acheter car les lieux sont immenses, vétustes et classés.» Le Centre de recherches et d’études Guerre et société contemporaine (CEGES-SOMA) possède quant à lui un portefeuille d’archives et la collection complète des affiches de Wilchar qui peuvent être consultées sur place mais n’a pas l’intention de les exposer prochainement.
La valeur des créations graphiques de Wilchar n’a pas vraiment de rapport avec son prix ou ses qualités esthétiques –on aime ou pas le style «pseudo-naïf» très coloré de ses linogravures–: cette valeur est avant tout symbolique, fortement liée à l’engagement d’une vie. Et à l’espoir qui transparaît, malgré tout: «Je continue à croire au rôle purificateur et consolateur de l’art et je suis assez grand pour savoir que le fumier de notre temps engendrera la fleur au printemps qui s’annonce.» Celui qui se moquait éperdument d’être coté sur le marché de l’art et qui voulait «un art lisible par tous» et accessible à tous, mériterait au moins une meilleure visibilité.
(1) Citation extraite de Wilchar, les larmes noires, film très touchant où l’on retrouve le franc-parler, l’humour et la révolte de l’artiste à travers ses souvenirs parfois extrêmement douloureux.
(2) Art et Liberté. Organe des artistes partisans du Front de l’indépendance, Contact, Peint à la main et L’Impertinent.
(3) Amélie Dogot, «Newtopia, l’état des droits de l’homme», dans Espace de Libertés, n°413, novembre 2012, p. 34.
(4) Chroniqueur, écrivain, critique d’art et «passeur d’œuvres» auprès des auditeurs de Klara jusqu’à sa pension en 2013.