Espace de libertés – Juin 2015

À la croisée des chemins entre l’interculturel et l’intergénérationnel, le projet «Banzaï» pousse la population à devenir actrice de son quartier par l’ouverture à la pratique artistique.

Exemple typique du fait qu’il ne faut ni moyens hors de proportions, ni égo démesuré, ni ambitions qui dépassent les frontières de l’imagination pour élaborer des projets culturels de grande qualité: l’ASBL liégeoise Le Monde des Possibles. Qui poursuit l’objectif majeur de se réapproprier la parole, le quotidien et, si possible, son quartier en mélangeant les arts et les âges.

Le projet «Banzaï» se définit donc comme «un nouveau territoire de l’art sur le quartier liégeois de l’Amercoeur Longdoz». Mais voit aussi plus loin que le bout de son ambition de base, qui dépasse le carcan purement artistique. Concrètement, il s’agit de créer des modes de mobilisation dont les fondations reposent sur des actions artistiques (articulées autour d’une série de disciplines, de la calligraphie à la danse et la musique, en passant par les arts plastiques et la sculpture) réparties en ateliers de 30 heures chacune, de défendre la tolérance, et d’établir un meilleur dialogue entre les populations.

L’art comme vecteur

Le noyau de tout cela? La volonté de sensibiliser la population à la richesse de l’intergénérationnel croisé avec l’interculturel. «Souvent, on se dit que les migrants, en situation délicate par nature, ont autre chose à faire que de s’occuper d’art», nous explique une sans-papiers qui désire rester anonyme (et on la comprend, pour des raisons évidentes), devenue habituée des ateliers. «C’est vrai dans l’absolu. Mais dans la pratique, l’art nous aide à deux choses: il nous change les idées et, surtout, nous permet de nous exprimer. Ces deux aspects sont fondamentaux, surtout pour nous qui avons été habitués à devoir raser les murs et ne parler à personne de peur que cela se termine par un retour immédiat au pays ou des brimades en tous genres. En outre, c’est un excellent moyen d’intégration entre cultures et générations. Puisque nous collaborons surtout avec des gens plus âgés. Qui nous aident dans l’élaboration de nos œuvres. Et qui voient ensuite, en priorité, le résultat final.»

Mais la collaboration entre les seniors et les migrants dépasse le simple parrainage, et, surtout, le banal effet d’annonce! Car cette collaboration enrichit chacun des deux cotés de la pyramide des âges. «Pouvoir participer à la vie culturelle de son quartier selon Banzaï, c’est d’abord être admis au rang de citoyen. Et ensuite, c’est un passeport vers pour sortir le public, autochtone et plus âgé, de son isolement», continue notre témoin.

Pas une fin en soi

«Après, l’objectif ne sera pas spécialement d’exposer ces œuvres!», explique Frédéric Bastin, peintre et photographe en particulier, artiste tout-terrain en général, et «banzaïeur» en chef de son état. «Les résultats des divers ateliers seront bien entendu montrés aux personnes âgées qui ont partagé le quotidien de “nos” artistes. Mais l’essentiel est surtout que ces migrants qui fréquentent Le Monde des Possibles se réalisent par une activité artistique. Même si certaines idées pourraient être exhibées sans honte tant elles ont dépassé nos espérances.»

On citera par exemple des réalisations comme «La TV du Possible», un recueil de dessins satiriques, une compilation de recettes d’ici et d’ailleurs, ou encore un film d’animation réalisé en six langues par des enfants. Bastin continue: «Et pour professionnaliser le tout, nous disposons aussi d’une liste de gens à contacter –artistes, chercheurs, chorégraphes, cinéastes, compositeurs– dont les démarches ont déjà soutenu les migrants par le passé. Ils aident à la conception des œuvres. Qui se matérialiseront ensuite dans un objet, un écrit… dans une forme tangible ou non. Mais, surtout, qui mettront en œuvre des facultés propres. Comme conter, jouer d’un instrument, danser, chanter…»

Tout cela dans une perspective qui ne se veut pas proche de l’art militant, mais qui s’éloigne quand même très intelligemment de l’art pour l’art. En faisant de la création l’une des clés pour améliorer la vie de quartier. Un type d’initiative appelé, on l’espère, à essaimer un peu partout dans le pays.