Espace de libertés – Juin 2015

Le concordat de 1801 par-delà Waterloo


International
On fête en ce moment le bicentenaire de la bataille de Waterloo. En dépit de la chute de Napoléon, le concordat de 1801 reste un héritage parfois bien vivant.

L’historien israélien Zeev Sternhell explique en partie le succès du Front national par un problème… d’estomac. Brutales, la Révolution française et ses suites n’ont jamais été digérées par des millions de Français restés accrochés à l’Ancien Régime et à ses usages réactionnaires. Ils furent ainsi nombreux à se rallier, dans les décennies qui allaient suivre, aux idées défendues successivement par les royalistes, les boulangistes, les antisémites de la Ligue de Drumont, etc., jusqu’à venir gonfler de nos jours les rangs du Front national. À sa manière, le Mariage pour tous a mis en lumière cette France recroquevillée sur le passé, mais qui entend faire comprendre qu’elle existe bel et bien lorsque l’enjeu lui semble important.

Des ponts ont pourtant été érigés dans les années qui ont suivi la Révolution. Car elle comprit à un moment donné qu’elle ne pourrait pas éternellement gommer le fait religieux.

La Révolution, l’Empire et la religion

En 1799, alors que la France bascule du Directoire vers le Consulat, les prêtres qui ont juré fidélité à la Constitution, comme ceux qui ont renoncé à leur sacerdoce et/ou se sont mariés, sont exemptés de la déportation. Les choses s’adoucissent. Le curé du village n’a plus à dire sa haine de la royauté et de l’anarchie pour célébrer le culte. Les églises sont rendues aux citoyens, ce qui les exonère de les tenir fermées en dehors du décadi. Problème: certaines dispositions cadrent mal avec les doctrines de l’Église et pourrissent la cohabitation entre républicains et catholiques pur jus.

Pour pacifier la France, Bonaparte n’hésite pas à se rendre à Valence pour rendre un hommage somptueux à la dépouille de Pie VI –son successeur Pie VII sacrera l’empereur à Notre-Dame de Paris en 1804. Puis, au printemps 1800 s’ébauche une négociation entre la France et le Saint-Siège qui aboutit l’année suivante au concordat. La pondération du nouveau pape joue ici un rôle important.

L’objectif est de pacifier un pays que fragilisent les coups de boutoir des contre-révolutionnaires assimilés aux catholiques.

Une approche politique de la question religieuse

L’objectif est de pacifier un pays que fragilisent les coups de boutoir des contre-révolutionnaires assimilés aux catholiques.

Pour Bonaparte, le concordat de 1801 est le résultat d’une approche politique de la question religieuse. Pas question pour le Premier Consul d’évangéliser la France à la manière du futur Charles X. L’objectif est de pacifier un pays que fragilisent les coups de boutoir des contre-révolutionnaires assimilés aux catholiques. Napoléon est un réaliste mâtiné d’opportunisme. Au Conseil d’État, il déclare: «Ma politique est de gouverner les hommes comme le plus grand nombre veut l’être. C’est là, je crois, la manière de reconnaître la souveraineté du peuple. C’est en me faisant catholique que j’ai gagné la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais un peuple juif, je restaurerais le temple de Salomon».

Napoléon veut codifier, verrouiller. Pour cela, il a besoin de Rome. Portalis résume ainsi la pensée du premier consul: «Le bon ordre et la sûreté publique ne permettent pas que l’on abandonne les institutions de l’Église à elles-mêmes.» Ce principe vaut aussi pour l’actuelle Belgique et les territoires rhénans que la France occupe alors. En sus, Napoléon aimerait séduire l’Italie et l’Espagne catholiques et s’allier à elles. En face, le pape veut rendre le culte libre en France et s’interroge sur la manière de débarrasser les prêtres «jureurs» du serment de fidélité fait à la Constitution.

Une Église nationale et asservie au pouvoir civil

Le concordat est signé le 26 messidor de l’an 9 de la République française (15 juillet 1801). Il affirme que «le gouvernement de la République reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français». En contrepartie, le pape admet que «cette même religion a retiré et attend encore en ce moment le plus grand bien et le plus grand éclat de l’établissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu’en font les consuls de la République». Suit une série d’articles qui fixent le caractère libre et public du culte catholique, annoncent une nouvelle circonscription des diocèses français réalisée en commun par le Saint-Siège et le gouvernement, ou donnent encore à Bonaparte le droit de destituer les évêques et les archevêques en place et de nommer leurs successeurs.

Cette autre victoire napoléonienne laisse rapidement le pape dubitatif. D’autant qu’en 1805, les troupes françaises pénètrent sur le territoire papal. Pie VII est furieux. Napoléon lui répond sans ambages: «Votre Sainteté est souveraine de Rome, ses relations sont avec moi les mêmes que celles de ses prédécesseurs avec Charlemagne. Elle est souveraine de Rome mais j’en suis l’empereur.» En 1809, Napoléon sera excommunié. Arrêté, le pape sera maintenu en captivité jusqu’en 1814, date de l’abdication de l’empereur à Fontainebleau.

Les cultes protestants furent eux aussi soumis à une série de dispositions générales relatives aux pasteurs, aux églises et à leur organisation. Plus tard, des négociations seront menées avec des représentants de la communauté juive afin de concilier les préceptes religieux juifs avec les exigences légales du nouveau Code civil. En 1807, ce sera le travail du «Grand Sanhédrin». En 1808, deux décrets organiseront les consistoires locaux et national sur le modèle du protestantisme. Ce n’est toutefois qu’en 1830 que les rabbins seront pris en charge par les deniers publics.

Du concordat à la loi de Séparation

En 1905, la loi sur la séparation de l’Église et de l’État a mis fin au concordat de 1801. Un certain nombre de régimes particuliers subsistent toutefois: en Alsace et Moselle, en Guyane, dans les territoires d’outre-mer et à Mayotte. Les ministres du culte y sont notamment salariés par l’État. Les évêques de Strasbourg et de Metz sont en principe nommés par le président de la République, même si dans les faits, celui-ci suit le souhait du Saint-Siège. En 2013 toutefois, selon Le Républicain lorrain, Manuel Valls –alors en charge des cultes– serait intervenu dans la nomination du nouvel évêque de Metz. Un candidat jugé trop traditionaliste aurait été écarté au profit de Mgr Jean-Christophe Lagleize. L’information reste à confirmer.