Espace de libertés – Juin 2015

Pour une société “fair-play compris”


Dossier
Tout ou presque a été dit, écrit, commenté, analysé sur notre société européenne et belge de ce début du XXIe siècle, une société sans réels repères, en recherche d’équilibres, orpheline de valeurs.

Toutes les composantes de la société ont, à un moment ou un autre, été pointées du doigt comme «les» coupables, que ce soit les politiques incapables d’anticipation donc de vision, l’enseignement sous toutes ses formes et ses impossibilités à répondre à tous les défis, le monde du travail (et du non-travail) plus inégalitaire que jamais, la cohabitation et le choc des cultures brassées par nos compatriotes chaque jour plus multiculturels. Et on s’arrête là.

Il y a notamment et notablement «un État» (dans l’État) qui s’est abstenu de prendre part à ce nécessaire débat; qui représente directement et indirectement un Belge sur deux. On vous fera grâce du calcul fin pour arriver à ce pourcentage incroyable évoquant rapidement et sans y toucher les quelques 2 millions de pratiquants «enregistrés officiellement», c’est-à-dire ceux qui font acte d’inscription dans un club, au sein des fédérations sportives et leurs ligues. On le doublera sans vergogne pour embrasser ces univers des nouveaux sports ou activités physiques qui se développent au rythme du génie créatif ou des circonstances (street sports, beach sports, sports extrêmes) ou surtout des tendances et donc des marketings qui envoient dans nos rues, sur nos RAVeL, dans nos forêts, dans nos salles dites de «fitness», des centaines de milliers de mollets courant, pédalant, marchant, sautillant à la recherche d’une autre condition physique, d’un chrono (inutile sauf le défi), de sensations aussi nombreuses que ténébreuses. On n’omet que par distraction les dizaines de milliers de jeunes à l’école et leurs heures parcimonieuses dédiées à l’éducation physique mais qui font acte, à ces instants-là, de sport ou d’activité à caractère sportif. Et l’on y inclura ces masses de supporters qui peuplent nos stades, arènes, salles de sport pour y apporter leurs voix, leurs encouragements, leurs… débordements; qu’il s’agisse des matches de play off ou de U8 (moins de 8 ans), de championnat ou de gala, de jeunes ou de professionnels. Nous avons même failli oublier les fans de salon ou de buvette, d’esplanade ou place communale qui s’y retrouvent pour «communier» avec leurs équipes favorites devant nos grands écrans. Nous disions «50% de la population belge»; nous persistons et signons.

Des codes et des règles pour agir

Des cartes vertes, jaunes et rouges aux mêmes conséquences en foot, rugby, volley, handball, hockey; un «100m» qui mesure la même distance à Bertrix et à Los Angeles; un corner qui se donne systématiquement au point de corner au Standard de Liège, au Real de Madrid ou au Sanfrecce Hiroshima; un smash en dehors des lignes en tennis, en volley, en badminton; un ippon et un KO compris par tous en judo ou en boxe; un anneau de vitesse à prendre dans le même sens que ce soit sur piste pour le cyclisme, sur glace pour le patinage de vitesse ou sur synthétique pour l’athlétisme; des commandements universels («à vos marques!», «allez!»); un coup de sifflet, des bras d’arbitres levés et des dossards, des numéros matricules, des plaques pour cadres de vélos, des maillots numérotés. Rien n’est mieux balisé, codifié, réglé universellement que le sport.

Et chaque sport a ses règlements, ses «traductions» par types de compétition, ses applications mondiales déclinées régionalement, nationalement et localement. Des mondes chaque fois différents qui se vivent en parallèle sauf tous les quatre ans pour se retrouver aux expositions universelles des talents sportifs appelées plus simplement «Jeux olympiques» (ou «Jeux mondiaux» pour les sports qui font l’anti-chambre des JO). Et tous les 60 mois donc, nous vivons au rythme de tous ses signes cabalistiques réunis en une seule ville, tous ces gestes et sanctions englobés dans des rituels répétés dans les 200 pays membres de cette extrême confrérie du sport.

Passer de ces valeurs induites à des valeurs portées, voilà ce à quoi cette «moitié» de société doit s’atteler.

Ici, tout est langage unique; ici, chaque sport est culte; ici, la règle est d’or. Doit-on le regretter et le dénoncer? On est d’accord pour dire que c’est peine perdue. Alors profitons-en, profitons que par strate (dans ce cas-ci chaque sport), dans chaque «univers sportif», tout le monde est d’accord de confronter ses sportifs suivant les mêmes règles, les mêmes usages pour participer à de mêmes épreuves. Et qui dit «règles» dit aussi attitudes liées à cesdites règles; qui dit «code» dit encore comportements à adopter pour s’y conformer. Cela donne in fine le cadre global des valeurs auxquelles 50% de la population belge (voir plus haut) n’a pas assez conscience qu’elle y souscrit «obligatoirement». Passer de ces valeurs induites à des valeurs portées, voilà ce à quoi cette «moitié» de société doit s’atteler. Elle en a les moyens, elle en a surtout l’obligation.

Des responsabilités sociétales à la mesure de ces chiffres

Quoi de plus appréciable que l’esprit d’équipe, la fraternité, la solidarité, l’engagement, le jusqu’au-boutisme présentés dans un écrin de fair-play? Ce sont les maîtres mots de l’univers sportif; y voyez-vous des contradictions avec ce qui, naturellement, doit animer notre société dans son ensemble? Nous pas.

Aux citoyens de considérer que ces «terrains de sport très particuliers» sont nourris de cette même dynamique de savoir (bien) vivre ensemble.

Alors, par extension, pourrait-on déclarer que raviver, nourrir et déployer ces préceptes plus intensément dans la société des sportifs (ces fameux «50%») aura inévitablement un effet sur les 50% autres? Nous le croyons. Pour ce faire, demandons (n’exigeons pas, leurs codes, règlements, constitutions, programmes sont déjà assez contraignants comme ça):

  • aux fédérations sportives de prévoir un «volet» sociétal à inculquer à leurs pratiquants,
  • aux entraîneurs, coaches, animateurs de redonner du sens social à la pratique sportive et de la force aux attitudes et comportements à déployer,
  • aux écoles et aux profs d’éducation physique de savourer chaque début d’activité en (re)proposant le fair-play comme socle de la leçon,
  • aux organisateurs de spectacles sportifs de ne pas faire l’économie de la nécessaire promotion de ce qui fera du rassemblement qui les occupe un moment de convivialité, donc de savoir être,
  • aux médias d’avoir l’audace de souligner la beauté de l’esprit du sport –et donc des gestes en découlant– autant que de la volée réussie, de l’arbitrage défaillant, du chrono réalisé,
  • aux politiques que leurs propositions ou projets englobent chaque fois que faire se peut cet accent «valorisant», sans oublier leurs propres attitudes face à leurs adversaires,
  • aux parents de vérifier la force incontestable de l’encouragement à leur progéniture sportive plutôt que la critique (restons courtois) à l’encontre de «tout ce qui bouge» sur le terrain et autour de celui-ci,
  • aux pratiquants bien sûr d’apprécier l’instant du sport pratiqué avec autrui, qu’il soit partenaire ou adversaire, rendant ainsi toute sa dimension à la «3e mi-temps», le «19e trou», «le 5e quart temps»,
  • aux citoyens (sportifs ou non bien sûr; en cette matière, pas d’ostracisme) où qu’ils soient, dans le trafic, dans les grandes surfaces, dans les transports en commun, au boulot, etc. de considérer que ces «terrains de sport très particuliers» sont nourris de cette même dynamique de savoir (bien) vivre ensemble.

Un rôle crucial à jouer

Les «François Englert, Marie Gilain, Benoît Poelvoorde, Stromae ou Alechinsky» du sport ont un rôle crucial à jouer (bien et vite). Champions et médaillés olympiques (si si, la Belgique en compte!), champions du monde ou «argent et bronze» (nous en avons à la pelle), vedettes emblématiques de nos sports ainsi que celles de nos championnats en Belgique, en Premier League, en Serie A italienne ou dans les championnats étrangers nourrissant les équipes des Diables Rouges, des Red Panthers, des Yellow Tigers, des Belgian Tornados: ils et elles sont des ambassadeurs détonants, suivis par des millions de fans, d’amis facebookiens, de twitteurs, de journalistes et de chroniqueurs. En un tournemain, ils suscitent passions et commentaires, émotions et discussions. Leurs comportements, leurs gestes –même les plus anodins– emportent parfois tout sur leurs passages, ils et elles provoquent ainsi des mimétismes. Qu’ils soient donc aussi de la partie pour dispenser et diffuser ces valeurs, qu’ils soient actifs sur tous les terrains (de l’école aux vestiaires des plus jeunes sportifs, des tribunes publiques aux colonnes des journaux, de leurs blogs à leurs prises de position), pour que notre société (re)devienne fair-play admis, cette notion intangible et en même temps tellement forte, qui a en elle toutes les «vertus».

Jouons la fair-play donc, ça fait (et fera) tellement de bien.