L’association laïque islandaise Siðmennt œuvre depuis trente ans pour la séparation de l’Église et de l’État, en faveur de la pleine liberté de religion et de conscience, ainsi que d’un système éducatif dans lequel les enfants ne font pas l’objet de discriminations en raison de leur religion ou de la « position de vie » de leurs parents. Elle fournit une alternative laïque à l’omniprésence luthérienne que l’Église d’État détient historiquement.
Les Islandais sont plutôt choyés en matière de laïcité et d’humanisme. La Constitution est très claire en ce qui concerne l’égalité des droits. L’article 65 se lit comme suit : « Chaque personne jouit de l’égalité devant la loi et en matière de droits humains, sans distinction de sexe, de religion, d’opinion, d’origine nationale, de race, de couleur, de propriété, de naissance ou de tout autre statut. Les hommes et les femmes jouissent des mêmes droits à tous les égards. » Certains estiment cependant que cet article est en contradiction directe avec l’article 62 : « L’Église luthérienne évangélique sera l’Église d’État en Islande et, à ce titre, elle sera soutenue et protégée par l’État. » Ainsi, si l’égalité est assurée par la Constitution, certains Islandais seraient un peu plus égaux que d’autres.
Foi en chute libre
Siðmennt, association islandaise d’éthique humaniste, soufflera ses trente bougies l’année prochaine. La confirmation civile comme alternative à la confirmation religieuse a constitué le principal axe de travail mené depuis le début de son existence, et cela a largement contribué à faire avancer la cause de l’humanisme en Islande. Le programme de cette confirmation civile comprend un cours sur l’éthique, la pensée critique et les droits de l’homme, suivi d’une cérémonie culturelle et festive pour clôturer l’événement. Cette année, environ 15 % des enfants nés en 2005 ont choisi l’option de confirmation civile, une croissance spectaculaire qui se maintient depuis quatre ans. Parmi les autres missions phares de Siðmennt, épinglons la proposition faite aux Islandais d’employer l’expression « organisation de positionnement de vie », qui est maintenant largement utilisée par les particuliers, les médias et les législateurs. Elle a ainsi enrichi la société islandaise en proposant aux gens des cérémonies alternatives lors des moments de transition importants de la vie (baptêmes, confirmations, mariages et funérailles). Pouvoir choisir aide les citoyens à réfléchir aux valeurs et à leur philosophie de vie.
L’Islande : un laboratoire intéressant de l’évolution de la laïcité au cœur d’une société dominée par une Église d’État. © Patrick Gorski /NurPhoto.
Pour approfondir ces réflexions, Siðmennt a organisé des conférences et invité des personnalités de renom en Islande, telles que Richard Dawkins, James Randi, Maryam Namazie, Pam Myers, Dan Barker, Julia Sweeney, Margaret Downey, Annie Laurie Gaylor et Brannon Braga et publié le premier livre en islandais sur l’humanisme. Deux prix sont par ailleurs décernés : l’Humaniste de l’année et le prix Siðmennt pour l’éducation et la science.
L’association soutient bien entendu les droits fondamentaux des minorités, tels que les gays et les transgenres. Le mariage gay a été légalisé en Islande en 2010, après des années de fortes réticences de la part de l’Église. Siðmennt a toujours été un ardent défenseur des droits des homosexuels en Islande, notamment via une étroite collaboration avec les groupes de défense des LGBTQI+. Adopter un enfant ou donner son sang si on est homosexuel reste cependant toujours illégal en Islande, pour des raisons obscures
Trente secondes pour sortir de l’Église
Au cours de ces 30 dernières années, beaucoup de choses ont favorablement évolué en matière de laïcité et d’humanisme en Islande. Être athée n’est, par exemple, plus un tabou. En fait, cela n’est même plus un débat pour les jeunes Islandais. Dans un sondage national réalisé à la demande de Siðmennt en 2015, 0 % des répondants âgés de moins de 25 ans ont déclaré croire que le monde a été créé par Dieu… Dans ce même sondage, plus de 40 % du même groupe s’est déclaré athée1. En matière de religion, l’Islande et les Islandais ont ainsi parcouru un long chemin. Et même si l’Église évangélique luthérienne est toujours l’Église d’État, elle perd chaque mois des fidèles. Alors qu’il y a environ trente ans, bien plus de 90 % de la population la fréquentaient. Ce nombre est en perte de vitesse constant et est actuellement inférieur à 70 %, tout en continuant à décliner.
Les fêtes laïques ont largement contribué à faire avancer la cause humaniste en Islande. © Anna Fjola
Certains changements importants ont été apportés au système juridique pour faciliter cette évolution. En 2008, les citoyens ont commencé à se rendre compte que l’enregistrement automatique des nouveau-nés dans la même organisation religieuse que leur mère n’était pas vraiment la voie à suivre en matière d’égalité des sexes. Cet ancien système a en réalité profité à l’Église d’État, qui inscrivait par défaut chaque nouveau-né dans ses rangs. Désormais, les bébés ne sont inscrits dans une Église ou dans une organisation laïque que si les deux parents y sont eux-mêmes inscrits. C’est un pas dans la bonne direction, estime Siðmennt, mais la meilleure option serait que les enfants se fassent leur propre idée quand ils atteignent l’âge légal. Autre élément qui a vraiment aidé les gens à quitter l’Église, et à s’inscrire ailleurs ou à simplement rester à l’écart de toute organisation religieuse, c’est la modernisation de l’ensemble du processus. Auparavant, il était très difficile de modifier son inscription : il fallait se présenter au registre national pendant les heures de bureau, remplir un formulaire et le déposer. Aujourd’hui, il suffit de modifier son inscription en ligne, ce qui prend… trente secondes environ.
La séparation entre l’Église et l’État a néanmoins été un problème majeur pour Siðmennt, et en Islande en général, voici quelques années. Un référendum sur un projet de nouvelle Constitution a d’ailleurs été organisé et l’une des questions portait sur cet enjeu. Mais le libellé était si complexe que les citoyens ne savaient pas vraiment s’ils votaient pour ou contre une Église d’État. Le point est toujours en discussion puisqu’aucun gouvernement n’a encore pris de mesure pour modifier ou mettre à jour la Constitution depuis la tenue de ce référendum en 2012. C’est la raison pour laquelle il existe toujours un mouvement politique très actif en Islande qui plaide en faveur d’une réforme constitutionnelle. Et nous espérons voir un changement par rapport à l’Église d’État se produire le plus tôt possible.
Rester vigilants
Ainsi, si certains obstacles majeurs ont été surmontés au cours des trente dernières années, d’autres bloquent encore notre chemin. Une séparation définitive et véritable de l’Église et de l’État et une liberté religieuse totale sans aucune exception, aussi fantasque soit-elle, figurent en tête de liste. Ces questions vont de pair avec l’implication de l’Église dans le système scolaire, un point sur lequel Siðmennt se bat depuis des années. Avec une grande victoire tout de même en 2013, lorsque le gouvernement islandais a publié un ensemble de lignes directrices relatives à la participation religieuse dans les écoles. Mais si ces règles constituaient un bon point de départ et des fondations sur lesquelles s’appuyer, de nombreuses écoles et prêtres ne les respectent pas. Le combat est donc loin d’être terminé. Dans l’ensemble, cependant, quand on regarde en arrière, la situation en matière de laïcité et d’humanisme en Islande est plutôt favorable et semble être sur une bonne voie. Mais malgré ces progrès, il ne faut pas baisser la garde et il faut se tenir prêt à relever les défis qui demeurent sur le chemin.
1 « 0.0 % of Icelanders 25 years or younger believe God created the world, poll reveals », mis en ligne le 24 janvier 2016, sur https ://icelandmag.is.