Pour sa deuxième édition, le Brussels International Film Festival (BRIFF) donnera carte blanche – en cinq films – à Bouli Lanners. Acteur et réalisateur côté face, il a aussi récemment dévoilé son côté pile… souvent électrique. Rencontre avec un artiste soluble dans l’engagement tous azimuts.
La cause au sujet de laquelle on vous a le plus entendu récemment est votre militantisme antinucléaire. Mais comment résumeriez-vous votre position le plus précisément possible ?
Je vis dans un pays formidable et désespérant, la Belgique ! Qui possède deux centrales avec sept réacteurs, dont certains controversés en raison de microfissures avérées dans les cuves. Vingt bombes atomiques sont stockées sur notre territoire par l’OTAN. L’exploitation planétaire des ressources naturelles a atteint son pic et nous dépendons de minerais de plus en plus durs à trouver… Conflits, catastrophes naturelles, bactéries… Plusieurs scénarios sont possibles, mais tous indiquent que, sans une radicale prise de conscience collective passant par la décroissance, nous fonçons droit dans le mur. À ce niveau-là, la Belgique ne me dit rien qui vaille…
Beaucoup d’artistes refusent souvent de prendre position sur des sujets qui débordent de leur « zone de confort ». Mais vous, c’est plutôt l’inverse !
Je me suis rendu compte que la vie n’était pas anodine, qu’il ne fallait pas la banaliser. C’est encore plus incroyable si l’on n’est pas croyant ! On est là pour un tout petit bout de temps. On ne peut donc pas passer cet instant à régler des problèmes vains. On ne peut pas gaspiller la vie. Il y a un pays d’Asie, le Bhoutan, où l’indice de bonheur passe avant le PIB. Alors que nous restons dans l’idée que le bonheur est lié au fait de posséder, que l’on doit vivre dans la croissance permanente, ce qui est bien entendu impossible. Il est temps de le répéter, encore et encore, de plus en plus fort.
Les cinéastes militants, c’est courant. Bouli Lanners a choisi sa bataille : contre le nucléaire. © Stéphane de Sakutin/AFP
Et vous considérez donc que cela fait partie de votre « job » d’artiste de prendre position, notamment sur l’écologie et l’antinucléaire ?
C’est le rôle de tout le monde ! J’ai un tout petit avantage : je bénéficie d’une micronotoriété, d’un accès aux médias que d’autres n’ont pas. Donc, je profite de cette caisse de résonance pour tenter de me faire entendre…
« Tenter » ? Cela signifie donc que ce n’est pas gagné ?
Clairement ! Jusqu’à présent, en tout cas, on ne peut pas dire que, ni moi ni d’autres, avons été spécialement entendus et suivis. Mais je suis optimiste : la libération de la parole prend de l’ampleur sur tous les sujets. Après, il faudra bien entendu passer aux actes, ce sera une autre paire de manches. Mais bon, chaque chose en son temps…
Considérez-vous votre démarche comme politique ?
Dès qu’on parle de la société, c’est politique. Donc, oui !
Comment vos préoccupations se retrouvent-elles en filigrane dans vos films ? Parce que dans « cinéaste engagé », il y a aussi cinéaste…
Mes préoccupations liées à l’écologie ne transpirent pas dans chaque film. Par contre, dans aucun d’eux, il n’y a de nation. Ce concept m’exaspère, lui aussi, comme beaucoup d’autres choses ! Le nationalisme se résume à quelques abrutis portant des revendications territoriales, liées à des frontières artificielles. Comment cautionner ça ? Les premiers, les derniers, mon dernier film en tant que réalisateur à ce jour, parle aussi de la fin du monde et de la mort. La fin du monde ne m’angoisse pas en tant que telle. Mais ce qui m’angoisse, par contre, c’est que cette fin devienne une idée permanente dans la société. L’idée de ne plus se réjouir de l’avenir, l’idée d’être gouverné par la peur qui va amener un repli sur soi, une espèce d’individualisme forcené… C’est cela qui me fait peur, surtout.
Quand on regarde tous vos films, on décèle aussi une volonté de mettre en valeur les personnes les plus fragiles de la société. C’est aussi, pour vous, un enjeu qui dépasse le cinéma proprement dit ?
J’ai toujours eu cette espèce d’affinité particulière avec les moins bien lotis, cela doit venir de moi. Parce que j’ai été moi-même, et pendant longtemps, une personne fragile socialement, de par mes galères. Raconter des personnes fragiles induit quelque chose de riche. Je pense que des gens normaux, cela n’existe pas, en fait…