La coalition Ensemble contre les violences, qui réunit une cinquantaine d’associations, a remis son rapport d’évaluation sur les efforts fournis pour lutter contre les violences faites aux femmes. Près de huit ans après l’adoption de la Convention d’Istanbul par l’Europe, il met en lumière les points faibles des politiques belges en la matière. Analyse.
Elle peut être physique, psychologique, sexuelle ou économique. Le fait d’un inconnu ou du partenaire. La violence à l’égard des femmes est difficile à chiffrer, car elles sont nombreuses à ne pas oser porter plainte. En Belgique, 37 852 plaintes ont été enregistrées en 2016 pour des faits de violences entre partenaires. Mais ces statistiques ne sont que la partie émergée de l’iceberg, tant en termes de phénomène que de masse. Et quand on interroge directement les femmes, les chiffres sont encore plus alarmants : en Belgique et en Europe, une sur trois dit avoir déjà subi des violences physiques ou sexuelles. Pour une sur quatre, ces violences étaient le fait d’un partenaire ou ancien partenaire.
Connue sous l’appellation « convention d’Istanbul », la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à égard des femmes et la violence domestique est un traité international adopté le 11 mai 2011 à Istanbul par le Conseil de l’Europe pour la protection contre la violence envers les femmes et violence domestique. La Belgique a, pour sa part, signé ce texte en mars 2016, et il est entré en vigueur le 1er juillet 2016. Comme le souligne l’ASBL Amazone, il s’agit de « l’instrument de droit international le plus élaboré et strict pour lutter contre les violences faites aux femmes ».
La Convention établit des standards minimums relatifs au cadre légal, à la prise en charge des victimes et à l’accès aux droits pour toutes les personnes séjournant sur le territoire, sans égard au statut administratif1. Elle prévoit un double mécanisme de suivi : par le Comité des parties, d’une part, et par le GREVIO2, comité indépendant d’expert.e.s, d’autre part. Ce dernier doit évaluer les efforts des autorités publiques belges en matière de lutte contre les violences, via les rapports de l’État partie, les informations des ONG et du terrain, et éventuellement une visite sur place.
Orienter les efforts dans le bon sens
C’est ainsi que la coalition d’associations Ensemble contre la violence – dont le Centre d’Action laïque est membre au même titre que 48 autres associations – s’est formée en 2016, à l’initiative de La voix des femmes. Son but : rédiger un rapport alternatif faisant état des lacunes des politiques publiques belges, du point de vue des expert.e.s et praticien.ne.s de terrain.
La suite ? Le GREVIO viendra en Belgique en septembre prochain et rédigera, lui aussi, un rapport d’évaluation qui pointera les points forts et faibles, avec des recommandations à la clé. On ne peut qu’espérer que le rapport alternatif les guide utilement. Un objectif commun : orienter les efforts des pouvoirs publics dans le bon sens.
La reconnaissance du féminicide est chaque fois plus réclamée. © Denis Meyer/Hans Lucas/AFP
Le rapport alternatif pointe dès les premières pages que « les organisations de terrain constatent à travers leur pratique que, malgré la ratification de la convention d’Istanbul en 2016, la Belgique ne respecte pas de manière optimale ses obligations en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et ne semble pas dégager l’ensemble des mesures nécessaires pour y parvenir. Même s’il existe plusieurs instruments légaux et politiques dédiés à la lutte contre les violences en Belgique, les organisations féministes s’inquiètent de certaines dérives dans l’appréhension de la problématique des violences faites aux femmes. Elles constatent le recul d’une lecture systématique sous l’angle des rapports sociaux de sexe et le développement d’un discours tendant à co-responsabiliser les protagonistes, ayant pour effet d’évincer la responsabilité de la société et des pouvoirs publics ».
Un manque de vision globale…
Les nombreux constats de la coalition ont trait à l’évaluation des politiques intégrées et la collecte des données, à la prévention, la protection et le soutien, à l’état du droit, aux enquêtes et poursuites, au droit judiciaire, aux mesures de protection et aux femmes en situation de migration et asile. Le rapport présente des recommandations concrètes pour chacun des chapitres, allant d’une meilleure formation des services généraux et spécialisés à destination de toutes les femmes à la proposition de réserver une part de 2 % du PIB au titre de budget spécifique pour la mise en œuvre du Plan d’action nationale de lutte contre toutes les formes de violences basées sur le genre (PAN 2015-2019).
… et d’actions ciblées
Les critiques sont nombreuses. Le rapport distribue des mauvais points, notamment au PAN qui est victime de la « lasagne institutionnelle » belge et ne présente pas de vision globale, cohérente et concrète en vue de réduire effectivement les violences à l’égard des femmes. Sont également décriés le manque de financement structurel des associations de terrain, le manque d’impact des campagnes de sensibilisation et de leur faible évaluation, les lacunes des programmes scolaires en termes d’égalité et de rôle non-stéréotypés de genres ou encore le manque de formation des professionnel.le.s en contact avec des victimes de violences de genre. Tout comme nous l’avions déjà pointé, le rapport met également en exergue le surprenant taux de classement sans suite des plaintes pour violences faites aux femmes, malgré l’existence des circulaires visant l’objectif « tolérance zéro » en la matière3.
Sans surprise, on retrouve de nombreux points communs avec les revendications du Centre d’Action Laïque4. Il faudrait aller vers une amélioration de la politique d’aide d’urgence pour les femmes victimes de violences et d’aide à la reconstruction de l’autonomie sur le long terme, tout comme une amélioration de l’accueil et du suivi des victimes de violences, notamment par le soutien à la mise en place de centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles. Il faudrait aussi apporter une attention particulière aux femmes migrantes, sans considération de leur titre administratif. Une revendication phare du mouvement laïque trouve également écho au sein du rapport alternatif : le renforcement de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (ÉVRAS). Tant le mouvement laïque que la coalition Ensemble contre les violences soutiennent l’ÉVRAS labellisée tout au long de la scolarité avec un égal accès à une information juste, précise et complète et un référentiel minimal à suivre, tout en intégrant les dimensions liées aux thématiques de genre.
Le rapport final du GREVIO sera remis en 2020, soit un an après les élections législatives, régionales et européennes. Un an pour que ce précieux vade-mecum de recommandations trouve un écho auprès des divers parlements nouvellement formés.
1 « Rapport alternatif de la convention d’Istanbul », mis en ligne sur www.amazone.be.
2 « Élections des membres du GREVIO », mis en ligne sur www.coe.int.
3 Manon Legrand, « Circulaire “Tolérance zéro” contre les violences conjugales : un bulletin mitigé », dans Alter Échos n° 421, avril 2016, mis en ligne sur www.alterechos.be.
4 Mis en ligne sur memorandum2019.laicite.be.