Espace de libertés | Juin 2019 (n° 480)

Coup de pholie

Village de Belouchia Gouba, sur l’archipel de Nouvelle-Zemble. Depuis des semaines, affamés, nous errons dans vos décharges de détritus. Notre banquise détruite par votre soif de profit, nos paysages blancs devenus notre linceul, nous migrons vers vos villes hideuses. À nos frères humains d’Afrique, vous offrez la Méditerranée en guise de cimetière. À mes congénères, les ours polaires, vous offrez la mort que vous filmez. Diffusion en direct, business du cynisme.

Nous, les réfugiés climatiques, humains et animaux ; nous, chassés de nos terres que vous avez rendues malades, croyez-vous que l’on va se laisser mourir, regarder les mines à ciel ouvert, les gisements pétroliers que vous creusez, signant notre mort ? Pour produire vos milliards de satanés iPhones, les enfants dans les mines du Congo vivent l’enfer. Africains, Amérindiens sont expulsés de leurs terres. Tandis que, nous, les ours blancs de l’Arctique, nous avons perdu notre banquise qui se rétrécit comme peau de chagrin. Non contents de la faire fondre, vous exterminez les survivants en exploitant le gaz, le pétrole. Le feu vert a été accordé par les puissants à la destruction des pôles Nord et Sud…

Face à notre agonie, à nos efforts désespérés pour crever vos poubelles, face aux cadavres des migrants qui flottent sur la grande bleue, vous détournez les yeux. Certains ricanent. Vous ne nous laissez aucune chance. Pourtant, nous ne nous résignerons pas à notre disparition. Vous avez vos gadgets technologiques qui ne seront que bulles de néant avec Miss Pollution qui travaille à plein régime. Avez-vous cogité à la libération du méthane contenu dans le pergélisol ? Nous n’avons rien mais nous vivons connectés à l’esprit des chamans, à la lune. Reliés à des forces magiques, nos coups de patte d’êtres amphibiens, nos grondements traversent le rivage de la mort. Les nouvelles du front de la pollution arrivent. Une partie de la Sibérie est recouverte d’une neige noire hautement toxique.

Échoués dans ce village de Belouchia Gouba, à bout de forces, privés de nourriture, nous savons que vous avez prévu d’abattre notre troupe. Solitaires, devenus grégaires par vos saccages, par votre pulsion de mort, nous ne vous offrirons pas cinquante macchabées au pelage blanc maculé de sang. Entre les étoiles, la neige et nous, entre nos frères humains et non humains d’Afrique, d’Asie et nous, un pacte. N’entonnez pas le grand chant de la Terre exténuée : notre extinction signera la vôtre.