Espace de libertés | Juin 2019 (n° 480)

Marche arrière vs traction avant


Édito

Un matin de mai, en allumant la radio, les news annoncent que le Sénat de l’Alabama, État réputé pour ses lois parmi les plus rétrogrades des États-Unis, criminalise à nouveau l’avortement (même en cas de viol ou d’inceste). La voix du journaliste annonce aussi que le nouveau gouvernement du président brésilien Bolsonaro ne veut plus accorder de budgets aux enseignements estimés inutiles, et de citer les facultés de sociologie et de philosophie des universités. Alors qu’en Belgique, Bart De Wever souhaite encore relever l’âge de la pension au-delà de 67 ans. Et comme si cela ne suffisait pas, les scientifiques sont formels : nous faisons face à la sixième extinction de masse des espèces de la planète. Le moral en prend un coup. Car ceci n’est pas une fiction. C’est le monde dans lequel nous vivons. En 2019. Un mauvais rêve éveillé. Mais que s’est-il passé ? Sensation d’avoir été plongée dans une hibernation forcée durant une décennie et de se réveiller dans un monde devenu un tant soit peu plus hostile et se refermant comme une huître sur des valeurs traditionalistes et chaque fois moins humanistes. La première puissance mondiale qui adopte une mesure qui transgresse si drastiquement le droit des femmes à disposer de leur corps, notamment en cas de violences, est un signal fort – un de plus – du recul de l’esprit des Lumières. L’atteinte au système d’éducation et à sa richesse, sa diversité, selon le filtre d’une vision utilitariste ne reposant sur aucune base étayée, enfonce le clou d’une dynamique autocrate qui installe ses pions. Et la diversité, parlons-en encore, celle-ci est également menacée à tous les étages : chez les êtres humains, communauté au sein de laquelle les lobbys anti-genre et religieux déploient un nouvel arsenal de bataille. Mais aussi au niveau des autres êtres vivants de cette planète, vertébrés et invertébrés, végétaux, qui s’éteignent, malheureusement pas à petit feu, mais de manière accélérée. Sans de réponse politique adéquate face à cette urgence. Dès lors, même si la voix des urnes a parlé et que la mécanique du pouvoir va reprendre ses droits, Espace de Libertés continue à titiller ses lecteurs avec ces thématiques. Ce mois-ci, votre magazine s’interroge d’ailleurs sur celles et ceux qui œuvrent dans l’ombre pour tenter d’influer sur le cours de l’histoire. Celle de la fabrication des lois qui, au gré des tendances morales ou commerciales traversant nos sociétés, dessinent le cadre de nos démocraties. Ces lobbys mal-aimés, car ne cultivant pas une transparence outrancière, valeur cardinale contemporaine, et n’œuvrant pas (toujours) pour le bien commun ou l’épanouissement collectif, sont ici décortiqués. Pour comprendre, être informé.e.s de leurs mécanismes et, qui sait, leur opposer un contre-pouvoir quelquefois vital. Car là encore, les courants traditionalistes et rétrogrades s’activent dans les couloirs des cénacles décisionnels, pour peser sur des décisions qui ont un impact sur quelque 512 millions de citoyen.ne.s européens. S’organiser et agir, voilà le mot d’ordre pour éviter la marche arrière.