À partir de la rentrée 2020, les enfants belges seront soumis à l’obligation scolaire dès 5 ans. Les écoles maternelles seront-elles obligées pour autant d’organiser des cours de religion et de morale? Comment respecter la Constitution? Petit aperçu des scénarios possibles.
Votée à l’unanimité par les députés fédéraux le 14 mars 2019, une récente loi étend l’obligation scolaire en la faisant démarrer à partir de l’année scolaire au cours de laquelle l’enfant atteint l’âge de 5 ans. La Constitution prévoit, en son article 24, que tous les élèves soumis à l’obligation scolaire ont droit, à charge de la Communauté, à une éducation morale ou religieuse. Dès lors, une question se pose : les écoles maternelles devront-elles proposer des cours de religion et de morale en dernière année ? Et, question sous-jacente, les parents vont-ils recevoir, dès la 2e maternelle, un formulaire de choix entre des cours de religion, de morale ou la dispense, puisque le cours de philosophie et de citoyenneté ne démarre qu’en 1re primaire ?
La balle dans le camp des Communautés
Étant donné que l’organisation de l’enseignement relève entièrement des Communautés, la mise en œuvre de cet abaissement leur appartient. C’est bien cela que rappelle l’avis du Conseil d’État1 relatif aux diverses propositions de loi qui ont été déposées en vue de cet abaissement. Que dit-il ? « La manière dont les Communautés satisfont à cette obligation relève de leur liberté d’action. L’extension de l’obligation scolaire impliquera en tout état de cause que les Communautés prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que, dans l’enseignement officiel (“les écoles organisées par les pouvoirs publics”), soit proposé aux jeunes enfants concernés “l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle”. Dès lors que plusieurs solutions peuvent être envisagées à cet effet et que la Constitution même n’indique pas spécifiquement comment cette obligation doit être mise en œuvre, il semble que l’exercice de la compétence des communautés ne soit pas rendu exagérément difficile ou impossible. »2
Derrière le jargon juridique, ce que semble dire le Conseil d’État, c’est qu’offrir des cours de religion et de morale non confessionnelle en 3e maternelle est une option rendue possible par ce changement législatif… mais contournable.
Contourner l’article 24
C’est aussi cette lecture que proposait Mathias El Berhoumi en 2016. Il suggérait même de s’inspirer du modèle flamand : « Le choix du cours philosophique est garanti aux élèves en âge d’obligation scolaire. Ceci a pour conséquence qu’un élève âgé de 6 ans fréquentant l’enseignement maternel doit suivre l’enseignement d’une des religions reconnues ou de la morale non confessionnelle. C’est pour cette raison que le législateur flamand a prévu que l’élève concerné peut assister aux cours philosophiques de l’école primaire choisie à cet effet par ses parents (article 13, § 3, du décret du 25 février 1997 relatif à l’enseignement fondamental). Le cas échéant, le législateur de la Communauté française pourrait s’inspirer d’une telle disposition3. »
Techniquement donc, la Communauté française pourrait prévoir que les élèves de 5 ans en âge d’obligation scolaire puissent suivre des cours de religion ou de morale non confessionnelle, si les parents en font la demande, avec leurs camarades de 1re primaire.
Bientôt des cours de morale et religion en 3e maternelle ? Avec quel financement ? © Mychele Daniau/AFP
Ces développements démontrent avec force que de nombreuses solutions et réponses sont possibles : si l’abaissement de l’obligation scolaire peut se passer de l’organisation des cours de religion et de morale en 3e maternelle, pourquoi ne pourrait-on pas imaginer des solutions aussi innovantes pour le reste de la scolarité ? Des cours de religion et de morale proposés aux élèves, en option et hors horaire tout au long de la scolarité obligatoire, satisferaient aussi bien la Constitution.
Des chiffres et un (sur)coût
Enfin, les débats qui ont entouré le vote de la loi ont évacué la question du financement de cette extension de la scolarité obligatoire, sous prétexte qu’entre 92 et 98 % des élèves francophones âgés de 5 ans fréquentaient déjà l’école4. Il faut savoir que les statistiques disponibles – notamment via l’ETNIC qui comptabilise les inscriptions des élèves – ne concernent que les taux de scolarisation, à savoir le ratio population âgée de 5 ans/nombre d’inscrits dans les écoles. Ces taux ne reflètent pas précisément les situations locales. Comme à Bruxelles où les enfants sont dispersés entre écoles francophones et néerlandophones, et vivent plus fréquemment qu’ailleurs dans des situations administratives irrégulières.
Aujourd’hui, deux incertitudes demeurent. Que se passerait-il si la population scolaire en 3e maternelle augmentait significativement en raison de cette extension de l’obligation ? Est-ce que le coût pour les trois Communautés serait encore supportable sans effort budgétaire supplémentaire du fédéral ? Et que se passerait-il si la Communauté française décidait d’organiser les cours de religion et de morale non confessionnelle en 3e maternelle ? Comment en supporterait-elle le surcoût ?
Le vote de cette loi renvoie la décision au gouvernement et au Parlement de la Communauté française et nous confronte à toutes les éventualités. À la Communauté française donc de trouver des réponses d’ici la rentrée 2020.
Dans une optique forte d’égalité des chances et d’émancipation sociale, le Centre d’Action Laïque est quant à lui favorable à l’abaissement de l’âge de l’obligation scolaire, non pas à 5 ou 4 ans, mais bien à 3 ans. Il va sans dire que le CAL s’opposera avec force à toutes velléités d’inscrire les cours de religion et de morale non confessionnelle dans les classes de maternelle.
1 Avis du Conseil d’État, n° 62.496/VR/1 du 30 avril 2018.
2 El Berhoumi Mathias, « L’abaissement du début de l’obligation scolaire par l’autorité fédérale ou par les Communautés au regard de la répartition des compétences et des droits fondamentaux en matière d’enseignement », dans Revue belge de droit constitutionnel, vol. 1, no.2016/1, pp. 7 et 8.
3 Ibidem, p. 14.
4 Voir question de Marcel Cheron, CRIV 54 PLEN 274, 14/03/2019, page 53.