Espace de libertés – Mars 2015

Réinsertion professionnelle : le parcours de la combattante


Dossier

Femmes des années 80 et femmes des années 2010, mêmes constats : quand l’économie flanche, elles sont touchées en première ligne. Si l’intégration sociale est un droit pour tous, les CPAS jouent un rôle important dans la formation et l’insertion professionnelle des femmes.


Albert Eylenbosch, président du CPAS de Saint-Gilles de 1977 à 1995 –qui présida également la conférence des 19 CPAS bruxellois–, dressait déjà le constat au cœur des années 80: les femmes sont souvent les premières victimes de la crise économique. Le constat n’est malheureusement pas neuf. Si le vocable «problématique genrée» n’était pas encore d’usage à l’époque, la réalité n’en était pas pour autant moins criante. Il convient de dire qu’en milieu populaire, elle n’est pas vraiment différente aujourd’hui. Aux femmes militantes enseignantes qui cherchaient à s’impliquer après avoir été prématurément écartées dans le cadre des restrictions dans l’enseignement du milieu des années 90, Eylenbosch proposa d’œuvrer à l’accompagnement des personnes en situation de pauvreté –et en particulier les femmes – dans leurs démarches administratives afin qu’elles puissent faire valoir leurs droits et accomplir leurs obligations. Ce sont ces mêmes femmes qui, plus tard, ont donné naissance à l’ASBL Aiguillages, le service laïque d’accompagnement administratif.

Dans le domaine de l’intégration sociale, force est de constater que le déterminisme, le conformisme ainsi qu’une répartition très typée des rôles sont encore fort présents sur les projets de vie des femmes.

Sortir du foyer

Le constat est connu, mais au regard du droit à l’intégration sociale développé au début des années 2000, il faut reconnaître que même si ce droit est traité spécifiquement «en équité», le CPAS apprécie souvent la disposition au travail comme l’une des contraintes liées aux charges de famille de nombre de femmes qui, souvent, assument seules leurs enfants (qu’elles soient en ménage ou seule) en devant poursuivre un projet professionnel. Il s’agit d’une tendance lourde malgré les efforts déployés depuis des années pour ouvrir de places spécifiques en crèches et pour permettre la formation et l’insertion professionnelle des femmes. En effet, dans un contexte de pénurie de places, la chose n’est pas aisée, et elle l’est malheureusement encore moins avec la croissance importante de la monoparentalité.

Lorsque nous échangeons avec les travailleurs sociaux, ou même lors de rencontres directes avec nos usagers, force est de constater que le déterminisme, le conformisme ainsi qu’une répartition très typée des rôles sont encore fort présents sur les projets de vie des femmes. Même lorsque les enfants ont grandi, la contrainte est tellement intégrée qu’il faut faire un réel travail de conviction pour amener de trop nombreuses femmes à s’autoriser à s’occuper d’elles-mêmes, à envisager une formation, ou songer à travailler aux postes traditionnellement perçus comme masculins. Même en étant attentif à cet aspect des choses, il est difficile de contraindre là où il faudrait une prise de conscience des femmes elles-mêmes.

Braver les stéréotypes

Le corps des travailleurs sociaux majoritairement composé de femmes peu suspectes d’une conception machiste de la répartition des rôles doit ramer à contre-courant pour des résultats encore timides. Un vrai travail individuel pied à pied est nécessaire. Mais peut-être faudrait-il développer plus encore un travail collectif afin de susciter l’envie par le «récit de vie» des femmes qui ont eu l’opportunité de tracer leur sillon ? Enfin, un vrai travail communautaire reste encore massivement à faire si l’on veut espérer pouvoir changer les mentalités et la perception de la femme dans le champ du travail. Il s’agit véritablement ni plus ni moins de lutter contre une sorte de résignation.

Le chemin est encore long et parsemé d’embûches lorsque l’on sait que de nombreuses femmes devront passer sous les fourches caudines des cours d’alphabétisation ou de français langue étrangère, de la formation ou de l’insertion professionnelle, voire les trois.

De plus, il s’avère toujours nécessaire de garantir au préalable le projet de stabilisation de la situation psychosociale de l’usagère, de régler la problématique du logement, de résoudre des situations de surendettement avant de pouvoir penser à se lancer dans la recherche d’un emploi. Le parcours est long et sa mise en route est souvent entamée à la trentaine, si pas au tournant de la quarantaine. Les programmes visant à renforcer l’emploi des jeunes leur sont souvent fermés. Autant dire qu’une fois mobilisées, nombreuses sont les femmes qui voudront se rabattre sur des professions plus accessibles afin de pouvoir rentrer directement dans le monde du travail. Cette voie sera souvent privilégiée, même par celles porteuses d’un diplôme.

Contrer le jeunisme

L’aide sociale, le chômage, le temps partiel, les titres-services restent souvent leur seul horizon comme expédient jusqu’à la cinquantaine, qui elle, leur fermera de nombreuses portes vu l’usure physique liée aux tâches offertes et à l’éloignement professionnel. Ces phénomènes sont également liés aux changements de la société contemporaine qui marque une certaine préférence pour la jeunesse, phénomène qui frappe encore plus durement les femmes.

Un véritable travail peut pourtant être entrepris avec une définition de projet et un suivi au cours du parcours pour conduire un nombre estimable de femmes à l’insertion professionnelle assortie d’une formation. C’est le credo des services d’insertion professionnelle des CPAS. Malheureusement, il faut en convenir sans qu’il s’agisse d’un public cible soutenu par un financement spécifique. Il s’agit d’un vrai travail de longue haleine loin des résultats quantifiables par grandes cohortes statistiques, tellement appréciées par les évaluateurs des programmes européens. Ce travail, lorsqu’il est réalisé, donne lieu à des réussites qualitatives particulièrement belles. Et ce sont ces vécus-là qu’il faut mettre en avant, non pas comme un paravent chinois à une dure réalité, mais comme un témoignage qu’un autre chemin est possible.

Les profils sont nombreux, les parcours également et l’expérience de nos services nous montre que les outils d’intégration socioprofessionnelle dont disposent les CPAS, notamment par le biais de la mesure «article 60» de la Loi organique de 1976, permettent souvent d’ouvrir une première période qui, même à durée déterminée, est une première occasion pour nombre de nos usagers de faire preuve de leur qualité dans un panel de profession, de plus en plus diversifié. L’objectif est celui de dépasser les stéréotypes professionnels qui mènent l’homme au pinceau, au marteau et au balai, et qui conduisent la femme au torchon, à la casserole et au linge.