Le soulèvement des printemps arabes en 2011 a obligé les autorités algériennes à entreprendre des réformes d’ouverture. Un nouveau Code de l’information a été promulgué, mais il a vite montré ses limites. Cinq ans plus tard, l’Algérie se situe très bas (127e sur 180) au classement mondial 2016 de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.
Le 11 décembre 2016, Mohamed Tamait décède en prison après 3 mois d’un coma consécutif à sa grève de la faim. Incarcéré le 27 juin, ce journaliste anglo-algérien avait été condamné le 11 juillet à deux ans de prison et à l’équivalent de 1 700 euros d’amende pour « atteinte à la personne du président« . Son crime? Sur son compte Facebook, il avait notamment publié un poème qui s’en prenait au chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika. Le décès de Mohamed Tamait a profondément choqué la profession et les défenseurs des droits humains.
Une explosion de titres et de chaînes et puis l’asphyxie
En 2012, l’édiction du Code de l’information est un marqueur important. Ce code prévoit la dépénalisation des délits de presse et la libéralisation du secteur télévisuel, alors toujours monopole d’État. Le nombre de médias explose alors. Cent cinquante titres de presse écrite voient le jour mais leur ligne éditoriale est peu, voire pas du tout critique envers les dirigeants. Deux d’entre eux, El Watan et El Khabar, se démarquent par leur opposition à un 4e mandat d’Abdelaziz Bouteflika, victime en 2013 d’une attaque cérébrale. Le président sera cependant réélu en 2014. Cet engagement leur vaudra de nombreux ennuis. Le pouvoir n’hésitera pas à faire pression sur les grands industriels pour les priver de publicité. En 2015, El Khabar a perdu 50 % de ses recettes publicitaires.
Dans l’audiovisuel, une cinquantaine de chaînes de télévision privées ont fait leur apparition après des décennies de verrouillage. Les chaînes privées ont un statut offshore, elles ont le droit d’émettre depuis l’étranger vers l’Algérie, via un opérateur satellitaire. Cela signifie que ses journalistes doivent être accrédités auprès du gouvernement, que l’enregistrement d’émissions et la démarche d’annonceurs publicitaires doivent être soumis à des autorisations, souvent refusées ou non renouvelées. Le pouvoir algérien a une peur panique de l’image et entend tout contrôler en sous-main. Les créneaux d’information sont très encadrés, cantonnant les chaînes privées à être des chaînes thématiques, essentiellement de divertissement.
Quant aux médias de service public (5 chaînes de télévision et 8 stations de radio nationales), ils peinent à servir l’intérêt général par la production d’une information crédible et indépendante. Les journaux télévisés d’information couvrent essentiellement les activités du président de la république et du gouvernement, sans donner voix à l’opposition.
Les médias en ligne évoluent dans un brouillard juridique précaire, sans statut clair, ce qui les laisse à la merci d’une perquisition en cas de traitement de sujets sensibles comme, par exemple, des faits de corruption. Mais d’autres voix s’élèvent, en particulier celles de « journalistes-citoyens » dans des régions où l’information est plus difficilement accessible et où se déroulent d’importants mouvements sociaux. Cette situation pourrait entraîner l’émergence d’un journalisme de combat, loin de la politique du compromis et constitue donc un sujet d’inquiétude pour les autorités algériennes. Quant à Internet, il reste un monopole étatique et, par conséquent, le réseau peut être coupé à tout moment sur décision unilatérale du gouvernement.
Code pénal et cyberviolence pour faire taire les journalistes
Les médias les plus visés par les pressions politiques sont ceux qui se sont opposés à la réélection d’Abdelaziz Bouteflika.
L’article 50 de la nouvelle Constitution algérienne (en février 2016) stipule que la liberté de la presse est garantie et n’est restreinte par aucune censure préalable. Mais les magistrats usent du Code pénal pour faire taire les journalistes. Des prétextes liés au droit d’informer, comme la diffamation, l’outrage et l’injure, sont utilisés systématiquement. La détention préventive, qui normalement doit demeurer une mesure exceptionnelle, est appliquée aux journalistes ainsi emprisonnés pour des raisons purement politiques.
Les médias les plus visés par les pressions politiques sont ceux qui se sont opposés à la réélection d’Abdelaziz Bouteflika en évoquant sa santé, les scandales de corruption ou encore les avoirs luxueux à l’étranger des dirigeants du régime. Tout commence par des menaces verbales de la part de hauts responsables politiques, des restrictions pour les médias étrangers, puis – phénomène assez nouveau – des campagnes de diffamation et menaces graves à l’encontre des journalistes, via Internet et les réseaux sociaux.
Depuis 2014, les phénomènes de cyberviolence se multiplient. Certains sites sont devenus de véritables mercenaires en ligne, comme 1,2,3 Viva l’Algérie ou Radio Trottoir, agissant pour le compte d’intérêts obscurs. Ils épinglent violemment des articles critiques envers les autorités ou la société algérienne, s’ensuivent alors des commentaires haineux postés sur la page ou le profil du journaliste visé. Les menaces peuvent aller très loin, parfois jusqu’à des appels au meurtre. Face à cette situation, les autorités restent silencieuses et l’on soupçonne fortement les services de sécurité d’encourager ces pratiques.
L’arme de l’argent
La distribution de la publicité, largement gérée par l’État, et les facilités de paiement accordées aux titres de presse servent de levier de pression pouvant être actionné à tout moment si les médias traitent des sujets trop sensibles. Pour assurer leur indépendance, certains journaux ont choisi d’importer leurs propres rotatives et de ne compter que sur la publicité privée. Mais suite à la crise de la rente pétrolière et l’explosion de médias télévisuels et numériques, la manne publicitaire est en chute libre depuis deux ans.
C’est dans ce contexte que des hommes d’affaires s’intéressent de plus en plus aux médias, essentiellement télévisuels car il s’agit du vecteur d’information le plus puissant. Une oligarchie médiatique au service d’intérêts économiques et politiques obscurs est en train de naître, à l’égard de laquelle le pouvoir algérien réagit différemment selon les liens qu’il entretient avec ces nouveaux magnats financiers.