La liberté de croyance et la liberté de conscience sont des droits universels absolus, mais l’usage que l’on fait de son intime aspiration, de sa propre conviction, doit être pondéré par le souci de l’autre. Et des autres.
Au nom de l’intérêt général, il convient d’envisager des accommodements raisonnables à l’exercice de sa croyance. Il en est ainsi pour les croyances en général et pour les croyances religieuses en particulier. Comparaison n’est pas raison mais imaginons que j’ai toujours eu l’intime conviction que la conduite à gauche, que la progression en équilibre sur la ligne blanche, que le passage au rouge plutôt qu’au vert, étaient des options éminemment plus pertinentes et m’étaient chevillées au corps, ce que m’a confirmé un maître à penser, mon « monsieur sécurité » qui me dicte ma bonne conduite. Est proscrit tout écart à ces principes personnels auxquels je crois dur comme fer, croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en…
De la pensée à l’expression
Les textes de référence qui constituent la partie faîtière du vivre ensemble font bien le distinguo entre ces libertés et leur exercice. Les articles 18, 9 et 10, respectivement de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, exposent sans ambiguïté le droit de toute personne à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ces trois articles, avec une implacable logique arithmétique, sont suivis respectivement des articles 19, 10 et 11 relatifs à la liberté d’expression. On insiste sur l’étendue de ce droit aussi bien au niveau de la forme, de l’espace dans lequel il peut s’exercer, des moyens mis en œuvre pour faire connaître ses opinions. Mais on précise également que l’exercice de ces libertés comporte des devoirs et des responsabilités et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique…
Le problème réside bien, non dans l’énoncé des convictions, mais dans leur imposition à d’autres. Pour que cette alchimie complexe fonctionne, il faut les garanties d’un État de droit, la référence et la reconnaissance des droits fondamentaux, bref il faut construire une histoire commune dans la diversité convictionnelle, mais avec des points de rencontres, de convergences et donc parfois des accommodements.
Ce n’est pas parce qu’on croit qu’on grandit et qu’on peut toiser la foule de ses contemporains; il est bien sûr tout aussi faux de penser que si l’on ne croit pas, on s’élève au-dessus de la mêlée.
Le premier outil, pour aller vers les jours heureux, est le beau nom de liberté, il s’agit bien de la liberté de penser, de la liberté de s’exprimer et donc de disposer de cette faculté et de la reconnaître aux autres. Il ne faut pas se laisser abuser par un homonyme. En effet, ce n’est pas parce qu’on croit qu’on grandit et qu’on peut toiser la foule de ses contemporains; il est bien sûr tout aussi faux de penser que si l’on ne croit pas, on s’élève au-dessus de la mêlée.
La croyance est une affaire personnelle qui peut se vivre en groupe, qui ne doit pas être confinée dans les sous-pentes, les arrière-cuisines, elle a bien sa place dans l’espace public, mais ne peut inféoder les services publics. Ce processus n’est pas nouveau, il est même immuable, il est fait d’osmose, d’enrichissements réciproques. Le métissage des diversités fait alors la richesse de la vie en société.
Mais cette image d’Épinal a, il faut bien le constater, du plomb dans l’aile. Les raisons invoquées, de bonne ou de mauvaise foi, à cette inversion du processus sont multiples. Ça va de la crise économique, de l’augmentation de la précarité, au rôle des intégristes religieux de tous bords, des populistes primaires et même secondaires, des incroyants bornés, sans oublier les xénophobes, les racistes, les attentats, l’horreur d’actions provoquant tristesse et colère, l’argument de la stigmatisation, la peur de l’autre, la recherche de l’ennemi commun, l’islamophobie, l’islamo-angélisme. Tous ces facteurs séparés ou combinés font que la situation se tend, se fige, les positions s’exacerbent, les antagonismes se renforcent, les replis se cultivent, les expressions des différences se multiplient. On teste, on nargue, on aiguillonne, attentifs aux réactions, aux propos qui pourraient alimenter les thèses de rejet, les justifications de la radicalisation.
La laïcité, là où croyants et non-croyants se croisent
Comment inverser la vapeur, remonter le courant, faire barrage au communautarisme, aux dérives théocratiques, à la démocratie émotive? Au niveau des principes, on pourrait s’inspirer de la définition de la laïcité: « La laïcité est le principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse. Il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen […] »ce
Pour rencontrer ce principe, il faut des actions, des pratiques et une volonté partagée de la mettre en œuvre. Et pour ce faire, renforcer le dialogue, réagir promptement et sans ambiguïté aux propos et aux comportements qui représentent des obstacles au vivre ensemble, qui constituent des brûlots d’antagonisme, qui invoque de manière infondée le manque de respect, dénoncer les messages simplificateurs, les assimilations coupables. L’ignorance, la désinformation, la mollesse des réactions de la part des leaders, des groupes concernés, sont autant d’éléments qui doivent être rencontrés et combattus.
Ne laissons pas les citoyens se terrer dans des ghettos, des niches convictionnelles dont les occupants sortent seulement couverts et en vigilance défensive, ignorants ou détournant la parole des autres, mettent en place une visibilité, une lumière, fût-elle celle des bougies, pour exacerber l’exclusion, la stigmatisation, au nom d’une morale particulière. L’éducation, la formation, la diffusion des savoirs sont bien sûr le socle sur lequel tout s’articule au sein de toutes ces démarches. L’acquisition du savoir, du savoir être, du savoir-faire, le principe de mixité dans toutes nous composantes doivent être valorisés. Là encore, la mise en pratique de notre slogan « Libres, ensemble » prend toute sa mesure et confirme que la conception laïque de la société se présente comme le meilleur garant pour les droits des croyants comme des non-croyants.