De droite, ils ont mis François Fillon sur la voie de l’Élysée. De gauche, ils sont décontenancés par l’importance des enjeux. Les catholiques sont les invités-surprises de la campagne présidentielle française.
Il y va de façon décomplexée, François Fillon. Invité au 20 heures de TF1, le 3 janvier, le candidat des Républicains s’est à nouveau présenté comme « gaulliste et de surcroît chrétien ». Et de poursuivre: « Cela veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, au respect de la personne, de la solidarité. »
François Fillon a le chic pour flatter les « cathos de droite ». Il le leur doit bien. Grâce à eux, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy a en effet remporté haut la main la primaire de la droite et du centre face à Alain Juppé, le 27 novembre dernier. Tout au long de sa campagne, il a assumé son catholicisme et les racines chrétiennes d’une France qui en oublierait presque d’être républicaine. Auparavant, lors d’un meeting tenu en août, il s’était épanché sur l’Assomption fêtée à l’abbaye de Solesmes où « depuis plus de mille ans, des moines observent la règle de saint Benoît ». En septembre 2015 déjà, dans son livre Faire (1), il consacrait un chapitre entier à sa foi. Personne alors n’aurait parié un kopeck sur ses chances à la présidentielle. « Je suis catholique, écrivait-il. J’ai été élevé dans cette tradition et j’ai gardé cette foi […] Comme beaucoup de Français de ma génération, j’ai grandi dans un monde où la religion catholique structurait des pans entiers de la vie sociale, et j’ai assisté, y compris en moi-même, au reflux de son omniprésence. » Comme un regret…
Le retour du religieux en France républicaine
Depuis, les analyses se multiplient pour tenter de comprendre les raisons de la victoire du Sarthois. Selon une étude IFOP/Atlantico, publiée avant le premier tour de la primaire, 38 % des partisans de la Manif pour tous étaient prêts à se déplacer dans les bureaux de vote. Bien davantage que les sympathisants républicains. Un million de mails appelant à voter pour François Fillon ont en outre été envoyés par les Associations familiales catholiques (AFC) à leurs adhérents.
Les cathos de droite se sont donc mobilisés pour Fillon. Et tout le rétropédalage d’Alain « Marie » Juppé, ses références tardives à la figure du pape et l’appel lancé à son adversaire pour qu’il clarifie sa position sur l’avortement n’y ont rien changé: les « cathos de gauche » n’ont pas volé au secours du maire de Bordeaux.
Les cathos de gauche seraient l’antidote au prurit conservateur de leurs coreligionnaires de droite.
Depuis, la presse française tartine sur le poids que lesdits cathos de gauche pourraient avoir dans les urnes de la présidentielle. En théorie, ils seraient l’antidote au prurit conservateur de leurs coreligionnaires de droite. Car cette fois, il n’est plus question de s’interroger sur leur capacité à contrer le FN et sa frange tradi. En octobre dernier encore, la revue Projet soutenue par dix mouvements chrétiens classés à gauche cherchait à comprendre la progression des idées d’extrême droite dans la société et chez les catholiques.
Aujourd’hui, cette question semble être passée au second plan, du moins si l’on se réfère à L’Express, à L’Obs et à d’autres encore qui ont consacré ces dernières semaines de gros dossiers au « réveil des catholiques ». De tous les catholiques: ceux de droite, ceux de gauche et ceux qui veulent simplement une France séculière. Bref, ceux qui feront ou non le président Fillon.
Difficile à vrai dire de s’y retrouver. Pour les catholiques eux-mêmes, le risque d’amalgame et de dégât d’image existe. L’Express cite ainsi l’intellectuel Jacques Julliard, figure du catholicisme de gauche, qui met en garde contre la tentation de faire porter tous les chapeaux de l’obscurantisme à la seule chrétienté. « Comme si le catholicisme payait pour ses propres ultras », note L’Express (2).
Mais dans l’immédiat, le vrai problème n’est pas là. Il réside plutôt dans la maigre capacité de mobilisation des cathos de gauche. « Que reste-t-il de ces chrétiens de gauche qui avaient le vent en poupe après mai 1968 et le concile réformateur Vatican II?, s’interroge Henri Tincq (3). Depuis quarante ans, leur recrutement n’a cessé de se tarir et leurs effectifs de fléchir. Les mouvements militants demeurent sur le papier mais, en nombre et en combativité, ils ne sont plus que la pâle copie de leurs aînés. […] L’hémorragie des militants coïncide dans le temps avec le désengagement des intellectuels chrétiens dans l’espace public et médiatique, puis avec l’effondrement des pratiques religieuses et des vocations sacerdotales. »
Cathos et militants: deux poids, deux mesures
Si ce manque de vitalité se confirme, comment espérer barrer la route de l’Élysée à François Fillon? En prenant le contre-pied éthique des cathos de droite? Pas si simple… René Poujol, un journaliste blogueur qui se définit comme « catho en liberté », est de ceux qui raille les défenseurs « par devoir » du mariage et de la parentalité homosexuels au sein de l’Église. « Euréka!, s’exclame-t-il. Être de gauche pour un catho, c’est ça: adhérer sans réserve au mariage pour tous. Et, par conséquent, nourrir son blues du sentiment que l’épiscopat, ouvertement ou par son silence, a pris fait et cause pour les antimariages gay. Là encore: bonjour la subtilité! » (4)
Autant dire que les adversaires de François Fillon auront fort à faire dans les prochains mois pour rallier le peuple catholique de gauche. Les affirmés, les convaincus et plus encore la majorité silencieuse – « catholique, séculière, pas forcément réac » – qui ne sait plus à quel saint se vouer et s’imagine déjà voter en dernier recours pour le candidat socialiste en se pinçant le nez.
Avec, au bout du compte, un constat: la revendication d’une religion s’installe un peu plus dans la politique d’un pays qui avait pourtant appris à traiter la chose publique sans elle. Élisabeth Badinter y voit la fragilisation de la laïcité « déjà mise à mal par les pressions continues de l’islamisme » (5). Pour le philosophe Paul Thibaud, « la fraternité et la solidarité au cœur de la notion de laïcité sont des emprunts au christianisme » (6). Elle n’aurait donc rien à craindre de l’hypothétique enracinement politique d’un catholicisme culturel.
(1) François Fillon, Faire, Paris, Albin Michel, 2015.
(2) Anne Rosencher, «Le réveil des catholiques», mis en ligne le 6 décembre 2016, sur www.lexpress.fr.
(3) Henri Tincq, «Après Michel Rocard, que sont devenus les chrétiens de gauche?», mis en ligne le 7 juillet 2016 sur www.slate.fr.
(4) René Poujol, «Catho de gauche, avec ou sans le Parti socialiste», mis en ligne le 19 décembre 2016, sur http://fr.aleteia.org.
(5) Anne Rosencher, loc.cit.
(6) Ibidem.