Espace de libertés – Février 2017

L’heure de Spinoza est arrivée!


Droit de suite

Lire les philosophes est une entreprise parsemée de points d’interrogation, que l’on accomplit souvent avec une gravité teintée d’incrédulité. Oubliez vos mauvais souvenirs et plongez-vous d’urgence dans le dernier opus de Pierre Ansay. Son sujet? L’inépuisable pensée de Baruch de Spinoza, «opticien, fabricant de lentilles, philosophe autodidacte, post-juif hollandais». Un homme du XVIIe siècle, oui, mais dont la pensée, pour paraphraser l’auteur, saisit à la gorge et fait fuir les certitudes. Avec des mots de tous les jours et une réjouissante désinvolture (apparente), Pierre Ansay réussit le tour de force peu banal de prouver que «Spinoza, ça marche». Enfin, une bonne nouvelle! Nous savions déjà que Spinoza pouvait nous sauver la vie (titre d’un précédent opus) mais notre compatriote nous démontre ici que Spinoza est à la fois «pratique et politique». Pratique dans tous les sens du terme: il professe une vision du monde qui part du concret et du réel (c’est son rafraîchissant côté grass root level qui donne sons sens au titre) mais qui s’élève bien vite vers des horizons d’où l’on voit bien que le politique n’est pas incompatible avec le spirituel. Car, comme le souligne Ansay, l’expérience de la liberté éthique et son corollaire, la liberté existentielle, conduisent naturellement à une forme politique réaliste qui s’appelle démocratie. Portée par l’espoir et non la crainte, faite de tolérance laïque, pour la défendre, nous sommes prêts à combattre sans haine. Et, serait-on tenté d’ajouter, avec détermination. Pour ceux que ne le sauraient pas, cette plongée dans la pensée du XVIIe siècle rappelle à point nommé que Spinoza et quelques autres ont eu le dangereux privilège d’être les pionniers de ce qu’on appellera par la suite les «premières Lumières». Ils sont quelques-uns, des Pays-Bas à la France en passant par chez nous, à avoir défriché le terrain de la liberté de pensée à leurs risques et périls. Pieter de la Court, républicain mais prudent, trouvera refuge à Anvers. Au contraire de Francisus Van den Enden, moins chanceux ou plus téméraire, qui sera exécuté à Paris. Quant à Spinoza, après avoir été rejeté par les siens et échappé de peu à un assassinat, il aura le bon réflexe d’être d’une prudence de Sioux, ce qui nous vaut aujourd’hui de pouvoir profiter de ses lumières. En somme, ce que Spinoza revisité par Ansay nous dit, c’est que ce qui compte ce n’est pas la «leçon», philosophique ou autre, mais bien l’action dans ce qu’elle a parfois de plus trivial. «Il n’est pas de sauveur suprême, brolétaire sauve-toi toi-même», voilà la devise que Pierre Ansay place en tête de son ouvrage. Et pour un philosophe belge, eh bien, ma foi, c’est plutôt bien envoyé.