Espace de libertés – Février 2017

Genappe: les trois quarts des ados sont-ils catholiques?


Libres ensemble
Il y a un an et demi, l’ASBL NESPA « Nouvelle école secondaire à pédagogie active »proposait un projet d’école à Genappe, au cœur du Brabant wallon. Le temps de compléter le dossier et de rassembler tous les documents utiles à la création de cette école, voilà que le SeGEC (1) sortait de son chapeau un lapin blanc baptisé « Collège archiépiscopal Père Damien ». Question: le Brabant wallon a-t-il vraiment besoin d’un collège catholique de plus?

Le mouvement laïque défend depuis toujours l’idée d’une école progressiste et pluraliste. Si le projet épiscopal devait passer au détriment de l’initiative innovante et pluraliste de NESPA, cela reviendrait à encore accentuer le déséquilibre, déjà considérable, en faveur de l’enseignement secondaire catholique. Il n’est pas anodin que le CAL, la Ligue de l’enseignement ainsi que des mandataires politiques PS, Écolo et MR manifestent leur soutien à NESPA.

Un désert scolaire

Dans le Brabant wallon, Genappe est un petit « désert scolaire »: aucune école secondaire n’existe à moins de 10 kilomètres à la ronde. Les enfants de la zone délimitée par Nivelles, Braine-l’Alleud, Waterloo, La Hulpe, Louvain-la-Neuve, Villers-la-Ville et Genappe n’ont qu’une offre très limitée d’écoles secondaires et, de plus, elle est massivement trustée par l’enseignement catholique. En effet, pour cinq athénées (Rixensart, Louvain-la-Neuve, Nivelles, Waterloo, Braine-l’Alleud), on dénombre 13 écoles secondaires catholiques et aucune école secondaire du réseau libre non confessionnel (Fédération de l’enseignement libre non confessionnel – FELSI). Trois écoles catholiques sur quatre: pas sûr que cela soit représentatif de la diversité convictionnelle de la région…

Cette zone accueille par ailleurs un grand nombre d’écoles primaires communales qui pratiquent la pédagogie active, alors qu’aucune école secondaire n’en propose la continuité. Le Conseil général de concertation, l’instance d’avis sur la création de nouvelles écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’admettait déjà fin 2015: « Actuellement, dans le Brabant wallon, plus de 300 enfants obtiennent le CEB (2) dans ce type d’école, mais seules 60 places sont ouvertes dans l’enseignement secondaire à pédagogie active ». (3) En effet, douze écoles communales de Genappe et des environs pratiquent la pédagogie active. C’est dire l’intérêt local pour ce type d’enseignement.

Un projet en adéquation avec le terrain et les besoins recensés

En outre, vu la croissance démographique qui existe dans cette zone, bon nombre des écoles secondaires actuellement accessibles seront très rapidement complètes et cette pression va se renforcer dans les années à venir.

C’est donc assez logiquement qu’un certain nombre d’habitants de Genappe et des alentours se sont mobilisés pour soutenir le projet d’une école alternative. En octobre 2015 naissait l’ASBL NESPA, qui rejoignait le réseau FELSI. NESPA trouvait même un emplacement sur le site de l’ancienne sucrerie désaffectée de Genappe, et engrangeait l’accord écrit du ministre régional compétent, Carlo Di Antonio (cdH).

Pourtant, en janvier 2016, le projet NESPA reçoit un avis négatif du Conseil général déjà cité. Motif de ce refus? Le dossier manquerait de données objectives sur la pénurie de places. En mai 2016, à la demande du cabinet de la ministre de l’Enseignement, l’ASBL fournit les données manquantes alors que c’est à l’administration que revient cette tâche! Promesse lui est faite d’une décision rapide, sans doute pour juillet 2016.

L’initiative NESPA, gelée depuis plus d’un an, se voit ainsi rattrapée par les ambitions du tout-puissant SeGEC, très influent au ministère.

En octobre 2016, aucune décision n’est tombée. Par contre, le rapport tant attendu de l’administration sur les zones en tension (entendez, en risque de pénurie de places dans les écoles secondaires) vient confirmer les données avancées par NESPA. Un nouveau vent d’espoir caresse les initiateurs du projet. Mais c’est sans compter la gourmandise du SeGEC. Ce rapport à peine publié, voici qu’apparaît comme par magie le projet d’un Collège archiépiscopal Père Damien, censé s’installer à… Genappe. Où? Sur le même site, dit de « la sucrerie ».

Du « siphonnage » dans l’air

L’initiative NESPA, gelée depuis plus d’un an, se voit ainsi rattrapée par les ambitions du tout-puissant SeGEC, très influent au ministère. Saine concurrence? Nous pouvons en douter. Le Collège archiépiscopal, qui viendrait aggraver le déséquilibre entre enseignement confessionnel et pluraliste en Brabant wallon, ne couvre que les deux premières années du secondaire. Ce qui signifie qu’après deux ans, les élèves seront logiquement dirigés vers les autres établissements catholiques de la région. Cela s’appelle familièrement du « siphonnage de clientèle »!

Cet état de fait doit être également considéré au regard du droit constitutionnel relatif à la liberté en matière du choix d’enseignement. Voici ce qui est prescrit: « Le gouvernement crée ou autorise la création d’un nombre d’établissements qui ne soit pas supérieur au nombre qu’il a déterminé en veillant à assurer un équilibre entre le caractère confessionnel et le caractère non confessionnel, en vérifiant l’adéquation entre les projets présentés et les besoins recensés, notamment en fonction de la localisation » (4). On ne saurait être plus clair! Trois contre un, cela ne semble pas très fair-play de la part de l’enseignement catholique.

Le Conseil général de concertation, chargé d’examiner les deux projets d’école en ce début de mois de janvier, a remis deux avis favorables. Ce faisant, il a renvoyé la balle au gouvernement. À l’heure de boucler cet article, les protagonistes attendent une décision du gouvernement. Décidera-t-il de favoriser l’un ou l’autre, ou de soutenir les deux comme a pu l’évoquer curieusement la ministre de l’Enseignement obligatoire, Marie-Martine Schyns (cdH)? Quoi qu’il en soit, il faut espérer qu’il le fera en toute impartialité… même si, au vu des éléments énumérés ci-dessus, nous pouvons légitimement en douter.

 


(1) Secrétariat général de l’enseignement catholique

(2) Certificat d’études de base qui sanctionne la fin du primaire.

(3) Conseil général de concertation pour l’enseignement secondaire ordinaire, compte-rendu de la réunion du groupe de travail « Création d’écoles » du 10 décembre 2015.

(4) Décret d’organisation de l’enseignement secondaire, 29-07-1992, article 6 – § 2.