Espace de libertés – Février 2017

Droits à géométrie variable en République populaire de Chine


Dossier
La République populaire de Chine renvoie souvent l’image d’une dictature monolithique où une élite autoritaire piloterait le pays à marche forcée, sans contestation possible. Libertés de pensée, de conscience et d’expression oscillent entre développement et restrictions.

Or, depuis l’ouverture de l’Empire du Milieu au monde, une forme de liberté d’expression s’y est développée. La liberté de pensée en Chine se caractérise par une tolérance relative, favorisée par l’État qui autorise la liberté individuelle tout en exerçant un contrôle attentif sur les groupes ou personnes susceptibles de constituer une menace pour le pouvoir. Loin d’être homogènes, les restrictions des libertés varient cependant selon la région géographique concernée ou la question soulevée.

Là où auparavant, les Chinois ne pouvaient qu’écouter, ils sont désormais devenus commentateurs de la vie politique et sociale.

Trente années d’ouverture

Le développement économique accéléré a complètement transformé le pays et y a créé la plus importante classe moyenne au monde, devant les États-Unis. Une presse financièrement indépendante a vu le jour à côté des médias officiels tels que CCTV ou China Daily, dont la ligne éditoriale, bien que toujours soumise au contrôle des autorités, est plus libre. En parallèle, les nouvelles technologies de télécommunication sont devenues un moyen alternatif d’information dans un pays désormais premier utilisateur mondial d’Internet. Cependant, cette nouvelle liberté reste étroitement contrôlée: plus de 40 000 fonctionnaires sont affectés, rien qu’à Pékin, à la surveillance du web chinois. Les grands portails étrangers comme Yahoo ou Google sont également contraints de participer à la censure en filtrant certains mots clés tels que « démocratie » et « Tiananmen »… Une censure que les jeunes Chinois urbains, connectés et ouverts sur leur monde, contournent aisément via des VPN (Virtual Private Network), systèmes permettant de passer outre les restrictions du réseau. De nombreux blogs engagés existent et il n’est pas rare que les auteurs de blogs censurés les rouvrent quelques jours plus tard sur des serveurs étrangers. En favorisant la rapidité des échanges et des idées, Internet a modifié en profondeur les rapports sociaux dans le pays: là où auparavant, les Chinois ne pouvaient qu’écouter, ils sont désormais devenus commentateurs de la vie politique et sociale.

Tous les activismes ne sont pas égaux

L’activisme de la société chinoise est une caractéristique peu connue du pays: on relevait ainsi 180 000 « incidents de masse » (grèves, manifestations et troubles à l’ordre public) en 2010, auxquels les autorités ont répondu par des méthodes allant de la tolérance à la répression violente. Cette inconstance trouve sa source dans la Constitution chinoise, qui consacre la liberté de parole tout en affirmant que les citoyens de la RPC ne doivent pas porter atteinte à l’État et la société dans l’exercice de leurs droits, et leur interdit de commettre des « actes nuisibles à la sécurité et aux intérêts de la patrie ». Ce paradoxe offre donc un cadre légal pour limiter les libertés de la population lorsque ces dernières dérangent.

En manière d’activisme, certaines causes bénéficient de plus de tolérance que d’autres. Les autorités chinoises ont ainsi commencé à lâcher du lest face aux fréquentes « révoltes vertes »d’une partie de la population protestant contre la mauvaise qualité de l’air ou la pollution de leur environnement. Cette tolérance n’est pas un hasard: la crise environnementale touche particulièrement le nord-est du pays, zone la plus riche et la plus peuplée de Chine. Le coût de la dégradation de l’environnement représenterait par ailleurs entre 3 % à 12 % du PIB. En d’autres termes, c’est la convergence des intérêts des autorités et de la population, plus que l’efficacité de l’activisme écologiste, qui explique la tolérance de l’État à ce sujet.

Cette convergence est absente à l’ouest du pays, où les revendications des minorités ethniques sont fortement réprimées. Majoritairement peuplée de Han, la Chine compte 55 minorités ethniques représentant 8,5 % de la population et intégrées à des degrés divers au reste de la société. Certaines, comme les Tibétains et les Ouïghours, contestent la tutelle chinoise. Incorporées tardivement à la RPC, ces minorités ont conservé une identité nationale forte qui; combinée à un sentiment de discrimination sociale et d’injustice économique les place en perpétuelle rébellion larvée. Au Tibet, l’étroite surveillance des activités religieuses, la sinisation des villes tibétaines et la modernisation forcée ont profondément modifié le mode de vie des habitants. En l’absence de toute solution politique, le combat des Tibétains s’enlise dans le désespoir, comme en témoignent quelque 130 immolations de moines bouddhistes entre 2012 et 2013. À l’extrême ouest de la Chine, la province du Xinjiang, intégrée au territoire chinois en 1949, fait face à des mouvements indépendantistes plus violents. Les migrations de Han ont rendu les Ouïghours minoritaires dans leur région, tandis que la montée de l’intégrisme musulman y a causé la multiplication des attentats, poussant Pékin à renforcer sa mainmise sécuritaire sur la région.

Liberté religieuse sous contrôle

Alors que le régime communiste réprimait toute pratique religieuse durant la Révolution culturelle, cinq religions ont désormais un statut officiel: le taoïsme, le bouddhisme, l’islam, le protestantisme et le catholicisme. Ce tournant a donné lieu à une renaissance spectaculaire du phénomène religieux. Le christianisme, et le protestantisme en particulier rencontrent un succès phénoménal: le pays compte à présent plus de 4 600 églises catholiques et plus de 25 000 lieux de culte protestants, tandis que le nombre de chrétiens est passé de 4 millions en 1949 à environ 70 millions aujourd’hui.

La Constitution ne protège cependant que les religions considérées comme « normales » et bannit les pratiques religieuses pouvant troubler l’ordre social. Les autorités chinoises sont particulièrement méfiantes envers les catholiques, dont le culte inclut la reconnaissance de l’autorité du Pape, perçue comme une autorité étrangère. En conséquence, l’Église catholique chinoise est divisée en deux entités concurrentes: une Église officielle, dont les évêques sont nommés par Pékin et contrôlés par le Parti; et, d’autre part, une Église clandestine dont les fidèles reconnaissent l’autorité du Pape et qui est encore aujourd’hui l’objet de persécutions, même si une certaine tolérance de facto peut être observée à son égard.

Ce ne sont pas les croyances religieuses en tant que telles qui sont réprimées en Chine, mais la religion en tant que pratique organisée.

Le mouvement Falun Gong, créé en 1992, connaît un destin similaire. Ce courant syncrétique associant techniques méditatives à une doctrine moraliste et messianiste était à l’origine toléré par les autorités. Très organisé, il s’affirma au cours des années 1990 comme un mouvement autonome du pouvoir et organisa en 1999 à Pékin la plus grande manifestation vue en Chine depuis Tiananmen en réaction à une campagne de dénigrement. Le mouvement est depuis lors sévèrement réprimé. Ainsi donc, ce ne sont pas les croyances religieuses en tant que telles qui sont réprimées en Chine, mais la religion en tant que pratique organisée, dès lors qu’elle peut servir de véhicule à la contestation politique et séduire les mécontents de l’ère postmaoïste.

Une situation contrastée

L’examen de la situation des droits civils et politiques en Chine laisse entrevoir une situation très nuancée. Depuis 1989, l’opposition au régime communiste est dispersée, désorganisée et minée par les rivalités personnelles. Les opposants considérés comme réellement dangereux font l’objet d’une répression impitoyable, entre intimidations, surveillance et emprisonnement.

En parallèle, malgré les limitations persistantes, les Chinois jouissent d’une liberté sans précédent dans l’histoire du pays, avec des possibilités de voyage et d’accès à l’information bien plus développées qu’il y a 30 ans. D’après des enquêtes d’opinion, la plupart des Chinois (84 %) estiment d’ailleurs que leur pays est démocratique1. Le soutien apporté par les Chinois à leur système politique peut s’expliquer par leur fait qu’une partie importante de sa population, épargnée par la répression directe, demeure tournée vers la poursuite d’un confort matériel et d’une stabilité sociale que le Parti communiste a été en mesure de lui apporter jusqu’à présent. S’il est légitime de se demander combien de temps le régime pourra maintenir ce tour d’équilibriste, il serait donc réducteur de considérer, comme c’est souvent le cas en Occident, la démocratie représentative comme l’horizon unique et indépassable de la Chine.