Invitée du Festival des Libertés en octobre dernier, Vandana Shiva a fait salle comble en rappelant l’urgence de son combat en faveur de la biodiversité mais aussi d’un monde plus solidaire. Ses propos ont fait écho dans un contexte de rejet de la mondialisation de plus en plus généralisé. Rencontre.
Les combats de Vandana Shiva sont multiples. Il y a d’abord la supercherie de l’agro-industrie qui a longtemps prétendu être la seule à pouvoir nourrir la population mondiale, qui en 2050 atteindra 9,6 milliards (1). À celle-ci, Vandana Shiva rétorque que l’agriculture familiale nourrit actuellement 70 % de la planète. L’agriculture familiale, c’est une agriculture diversifiée et résiliente, limitant l’usage des produits chimiques et faisant vivre les familles de paysans qui travaillent leurs terres. C’est aussi et surtout une agriculture mise à mal par la mondialisation et l’agro-industrie, au nord comme au sud. Avec les conséquences que l’on connaît: déforestations, accaparements de terre, large utilisation des énergies fossiles, contribution au réchauffement climatique, déplacements de populations, disparition de la biodiversité, impacts négatifs sur la santé. Et la part belle à l’usage d’engrais chimiques et de pesticides: « Ce sont des pratiques qui remontent à la fin de la guerre, rappelle l’écologiste indienne. Des gens comme Rockfeller, qui possédait la plus grande compagnie de pétrole au siècle dernier, ont investi dans l’agriculture les énergies utilisées pendant la guerre. » Le pétrole, mais aussi les pesticides et les engrais chimiques. Vandana Shiva n’hésite pas à dénoncer les recours aux OGM dont le but initial était de créer des plantes plus résistantes à ces produits chimiques. « Nous n’avons pas d’aliments génétiquement modifiés en Inde. Mais Monsanto a néanmoins réussi à y introduire le coton BT (2), rappelle-t-elle. Du jour au lendemain, les paysans indiens se sont retrouvés dans l’obligation d’acheter des semences hors de prix. Des achats qui n’ont été possibles qu’en poussant les agriculteurs à s’endetter. Et avec pour conséquence un taux de suicides sans précédent chez les fermiers. »
Un combat pour la démocratie
Comment une société qui tolère les pratiques émanant de multinationales qui ne respectent pas le vivant dans son ensemble peut-elle respecter l’humain?
Ensuite, à travers son engagement en faveur de l’environnement, Vandana Shiva met en exergue le péril démocratique que représentent les pratiques illégales menées par le secteur de l’agro-industrie: « Les multinationales sont plus agressives que jamais! Particulièrement dans un contexte mondial où les inégalités se creusent entre les gens, où les divisions entre les membres d’une société sur la base de la religion ou d’autres prétextes sont de plus en plus marquées. Ces divisions arrangent les multinationales qui peuvent ainsi imposer leurs décisions plus facilement. » Pour combattre une mondialisation sans foi ni loi, elle prône l’alliance des peuples: « Je participais récemment à un colloque sur la défense des animaux. On fait une distinction entre les animaux et l’espèce humaine, mais nous sommes tous des animaux! Nous devons avoir les mêmes droits! Comment envisager un respect de l’environnement si on ne commence pas par respecter les êtres vivants sans distinction? » Une réflexion qui mène à l’inévitable paradigme inverse: comment une société qui tolère les pratiques émanant de multinationales qui ne respectent pas le vivant dans son ensemble peut-elle respecter l’humain?
Réapprivoiser les traditions, en Inde et ailleurs
Loin de certaines conceptions scientifiques qui ont longtemps préféré contrôler la nature pour mieux la soumettre à l’autorité de l’homme, Vandana Shiva défend une approche de la science qui envisage la nature comme une partenaire afin de vivre en harmonie avec celle-ci. Cette approche fait la part belle aux savoirs traditionnels: « Nous avons connu en Inde successivement la Révolution verte, responsable d’une diminution des espèces végétales. Finie, terminée. Il y a eu ensuite le génie génétique pour les cultures. Révolu. Et enfin, les OGM… Mais où sont passées les semences résistantes au changement climatique? Ce sont les fermiers qui travaillent à la résilience alors que les multinationales ne connaissent que la chimie. Ils travaillent à la diversité alors que les multinationales imposent l’uniformité. Aucune personne venant de ce type d’industrie ne peut prétendre reconnaître cette diversité. Seules les femmes des villages le peuvent car elles sont en lien avec la nature. Les fermiers produisent une nourriture de qualité, alors que les multinationales fabriquent une alimentation sans goût. Elles ne sont capables que d’effectuer des manipulations dans le but de vendre des produits chimiques et de travailler sur les génomes sans en connaître les conséquences… »
Face à cette diminution des espèces et la perte des savoirs paysans consécutifs à la Révolution verte, Vandana Shiva crée en 1991 la ferme Navdanya qui, depuis, a permis de réinstaurer plusieurs espèces qui étaient disparues: « Au total, nous avons préservé pas moins de 1 500 variétés de graines. C’est dans les savoir-faire de cette agriculture traditionnelle que se trouve le futur! L’agriculture industrielle a recours à des technologies extractives qui utilisent dix fois plus d’eau que l’agriculture traditionnelle pour une récolte de même volume… À l’heure du changement climatique! Alors que l’on sait que des techniques traditionnelles permettent d’être plus résilient. L’erreur commise lors de la Révolution verte a été de leur substituer la croyance en la science. Mais la science, ce n’est pas réduire toutes les espèces! Enfin un dernier exemple: à l’heure où la population mondiale souffre de tant de pathologies liées à l’alimentation industrielle et à la “junk food”, qui, mieux que nos grand-mères, peut nous rappeler comment bien nous nourrir? »
(1) Prévision de l’ONU.
(2) BT Coton: coton génétiquement modifié introduit dans les années 1990 au Burkina Faso et au début des années 2000 en Inde par Monsanto.