Espace de libertés | Septembre 2019 (n° 481)

Pas besoin d’être sauvées


Dossier

Aude Mermilliod, autrice de bande dessinée et blogueuse de voyage lyonnaise, a récemment publié une BD dans laquelle elle raconte son avortement : à son témoignage de patiente vient s’ajouter celui du médecin généraliste Martin Winckler (voir notre interview en pages 30-33) qui a longtemps pratiqué des interruptions de grossesse et réfléchi à la manière d’améliorer le traitement des patientes. L’histoire d’Aude Mermilliod, c’est celle d’une IVG pratiquée dans une clinique en Belgique alors qu’elle avait 24 ans et vivait à Bruxelles. Le médecin a accepté, à sa demande, de ne pas respecter le délai légal de réflexion fixé à une semaine car elle était sûre de sa décision et n’avait pas envie de passer plus de temps enceinte et de laisser l’embryon se développer dans son corps et son esprit. Huit ans plus tard, elle a éprouvé le besoin de coucher sur le papier, de mettre des mots et des images sur ce qu’elle a ressenti, émotionnellement et physiquement, et de revenir sur les phrases maladroites de certains médecins.

Paternalisme «bienveillant »

« Le médecin qui m’a avorté n’était pas quelqu’un de méchant, mais c’était exactement ce que Marc [alias Martin Winckler] appelle le “paternalisme bienveillant” : c’est le comportement d’un médecin qui pense qu’il est là pour sauver les femmes alors qu’il devrait plutôt les accueillir avec leur vécu. Quand il m’a dit “Si vous êtes triste, gardez-le”, je pense qu’il cherchait à me consoler. Ce n’était pas malveillant. Pendant l’aspiration, face à ma souffrance, il n’a cessé de répéter “C’est bientôt fini, ce n’est rien, ce n’est pas grave”. Je pense que c’était parce qu’il était mal de voir que j’avais mal et cherchait à se rassurer lui-même. C’était une bêtise, mais ce n’était pas violent. Après l’aspiration, il est allé vider devant moi le contenu des bocaux dans les toilettes [et a tiré la chasse]. Ce n’était pas très malin de sa part, mais je ne pense pas qu’il cherchait à me culpabiliser. » Après l’avortement, les saignements ne disparaissant pas, Aude Mermilliod consulte un autre médecin qui, elle, se permet de lui faire la morale : “Mais pourquoi vous n’avez pas utilisé de préservatif ? Vous aviez un stérilet, mais ce n’était pas votre conjoint, vous auriez dû…” avant d’enchaîner sur un cours sur la contraception. Ça, c’est culpabilisant ! Je venais la voir pour un problème précis – des saignements – et elle me dit en gros que je gère ma sexualité comme un manche. J’estime quand même être passée entre les mailles du filet car je sais que les femmes qui avortent peuvent se prendre des réflexions encore plus violentes de la part du corps médical. »

Autorité médicale

Et qu’il s’agisse de médecins hommes ou femmes ne change rien : « Je suis certaine que le problème n’est pas genré, mais sociétal, lié aux études de médecine et à ce que l’on enseigne sur les rapports entre les soigné.e.s et les soignant.e.s. Face à la toute-puissance médicale, on se sent un peu bête. C’est encore plus fort dans le domaine de la gynécologie car c’est un domaine de grande vulnérabilité en ce qu’il touche à la génitalité. Et de surcroît, la société sexiste a encore la mainmise sur le corps des femmes. J’ai aussi eu à faire à de très mauvaises femmes gynécologues. La relation soignant.e-soigné.e doit évoluer et j’ai plus confiance en la prochaine génération de médecins pour faire bouger les lignes. » (ad)