Espace de libertés | Septembre 2019 (n° 481)

L’assurance maladie universelle : une urgence sociétale


Dossier

Le 1er janvier 2008, les « petits risques » des indépendants étaient intégrés dans l’assurance maladie obligatoire. Chaque travailleur et ses ayants droit bénéficie désormais d’une même couverture des coûts des soins de santé par la sécurité sociale, indépendamment de son statut professionnel. Près de dix ans plus tard, qu’en est-il de l’assurance maladie universelle ?


Quelques chiffres tout d’abord pour situer les enjeux économiques et budgétaires. Au cours des cinquante dernières années, le poids du secteur de la santé dans notre richesse nationale a plus que doublé, passant de 4,7 % en 1970 à quelque 10 % en 20171. Cette évolution n’est pas spécifique à la Belgique : les pays européens ont connu une évolution tout à fait comparable passant de 5 % à 9,6 % sur la même période2. Cette évolution illustre la volonté qui a prévalu dans les sociétés d’Europe occidentale d’investir le secteur de la santé pour répondre aux besoins découlant du vieillissement et de soutenir le développement de l’offre et des techniques médicales pour assurer la qualité des soins. Ces pays ont également en commun le large consensus sociétal en faveur d’un financement solidaire des coûts des soins de santé. En Belgique, quelque 79 % de ces dépenses sont ainsi financés par les deniers publics, un chiffre comparable aux 80 % observés en moyenne dans les pays de l’Europe des Quinze.

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Mais depuis la crise de la dette privée en 2008, qui s’est transformée début de la décennie en crise de la dette publique, on a assisté à un revirement des décideurs politiques : la priorité n’est plus à l’investissement dans la santé mais à la maîtrise de la croissance des dépenses de soins de santé dans un objectif de réduction du déficit public. Quand on analyse l’évolution des investissements et des économies nettes dans l’assurance maladie fédérale, c’est-à-dire la différence positive entre les moyens octroyés pour financer de nouvelles initiatives en assurance maladie et les économies réalisées, le constat est évident. Entre 2007 et 2010, des moyens importants ont encore été investis dans l’assurance maladie, notamment pour améliorer l’accessibilité financière aux soins de santé. Relevons en particulier l’intégration des petits risques indépendants dans l’assurance en 2008, l’extension du statut BIM (bénéficiaires de l’intervention majorée) aux familles monoparentales et aux chômeurs de longues durées, le MàF (maximum à facturer) pour les maladies chroniques, la gratuité des soins dentaires préventifs pour les enfants et les BIM, le plan cancer et le plan maladies chroniques. Mais depuis le début de la décennie, l’assurance maladie est entrée dans une période de restrictions budgétaires, amplifiée au cours de la dernière législature. Ainsi, pour respecter la norme de croissance du budget réduite de 3 % à 1,5 %, quelque 2,1 milliards d’économies auront été réalisées entre 2015 et 2019, soit l’équivalent des remboursements annuels par l’assurance maladie des consultations et visites de médecins généralistes et spécialistes.

L’échec de la politique d’austérité

Relevons d’emblée que cette politique d’austérité budgétaire sans précédent n’aura pas réussi à brider la croissance des dépenses de soins de santé. En effet, selon les dernières perspectives économiques du Bureau fédéral du Plan3,  « les déterminants structurels endogènes des dépenses de soins de santé (prévalence des maladies chroniques, vieillissement de la population, facteurs socioéconomiques, évolution de la pratique médicale et progrès technologique médical) conduisent à une croissance moyenne de ces dépenses de 2,5 %, soit nettement au-dessus de la norme de 1,5 % ».

Si les restrictions budgétaires en assurance maladie n’ont pas permis d’infléchir l’augmentation des dépenses de santé, cela signifie que ce sont les patients qui ont payé la note. Ainsi en est-il de la diminution du remboursement par l’assurance maladie de certains soins courants, comme les antibiotiques. Une récente étude de la Mutualité chrétienne a ainsi démontré que l’économie de 2 millions d’euros réalisée par l’assurance maladie suite à cette mesure avait été intégralement supportée par les patients car le volume de prescription est resté inchangé. Mais la politique d’austérité en assurance maladie a surtout entraîné une augmentation du nombre de prestataires de soins déconventionnés et une forte progression des suppléments d’honoraires. Aujourd’hui en Belgique, les suppléments d’honoraires facturés par les médecins, les dentistes et les kinési­thérapeutes atteignent quelque 900 millions d’euros.

La Belgique, championne de l’inégalité d’accès aux soins

Cette fragilisation de l’assurance maladie universelle n’est pas sans conséquences sur le bien-être de la population. En particulier, les « signaux d’alarme » se multiplient quant aux implications sur l’accès aux soins et sur la santé des populations plus fragiles. Selon un récent bilan de la Commission européenne, la Belgique est le pays ou l’inégalité d’accès aux soins entre les hauts et les bas revenus est la plus marquée4. Depuis 2011, le nombre de personnes n’ayant pas accès aux soins de santé a doublé parmi les personnes ayant des faibles revenus ou les peu qualifiés. Ce constat est confirmé par le récent rapport sur les performances du système de soins de santé belge du Centre fédéral d’expertise en soins de santé5 : ce dernier relève que les besoins non satisfaits autodéclarés en soins médicaux pour des raisons financières sont plus élevés en Belgique que dans les autres pays de l’Europe des Quinze. La dernière enquête de Solidaris montre que le phénomène de report de soins pour raisons financières touche une part de plus en plus importante de la classe moyenne. Et une récente étude du Bureau fédéral du Plan6 a relevé que la détérioration du bien-être des personnes à revenu moyen entre 2016 et 2017 s’explique surtout par la dégradation de leur santé.

Pour lutter contre les inégalités sociales de santé, restaurer la sécurité tarifaire des patients et garantir l’accès aux soins essentiels et de qualité, il est aujourd’hui prioritaire de réinvestir dans l’assurance maladie universelle. Ceci est souhaitable pour garantir le bien-être de la population à l’heure où les enquêtes d’opinion nous rappellent que la santé reste, avec l’emploi, la principale préoccupation des citoyens belges.

Plutôt que de vouloir brider à tout prix la croissance des dépenses de santé avec une approche purement budgétaire, l’attention politique doit se focaliser davantage sur une meilleure répartition des moyens de l’assurance maladie. Car l’essentiel est que chaque euro investi par la collectivité améliore les résultats en matière d’accessibilité et de qualité des soins de santé. C’est pourquoi l’investissement dans l’assurance maladie universelle doit nécessairement s’accompagner de réformes pour que notre système social de santé soit en mesure de relever quatre principaux défis : lever tout obstacle financier aux soins de base en première ligne pour contrer le report de soins qui engendre finalement plus de dépenses de soins de santé en deuxième ligne, développer une offre de services socio-sanitaires intégrée répondant aux besoins des personnes âgées et des malades chroniques tout au long du trajet de soins et du parcours de vie, réformer notre secteur hospitalier en s’appuyant sur une vision partagée de l’hôpital du futur à l’intersection du réseau socio-sanitaire ambulatoire et du réseau clinique, et mettre en concordance les innovations thérapeutiques et leurs prix aux besoins sociétaux.

La prochaine législature s’ouvrira dans un contexte économique et budgétaire difficile. Les gouvernements, à tous les niveaux de pouvoir, seront dès lors confrontés à des arbitrages essentiels. Il sera primordial d’identifier les vrais défis de notre système de soins de santé afin d’y apporter les réponses politiques cohérentes susceptibles d’améliorer le bien-être de la population.

 


1 OECD Health Statistics, Eurostat Database, WHO Global Health Expenditure Database.
2 Moyenne au sein de l’Europe des Vingt-huit.
3 « Perspectives économiques 2019-2024 », Bureau fédéral du Plan, juin 2019.
4 European Social Policy Network (ESPN), « Thematic Report on Inequalities in access to healthcare : Belgium 2018 », juin 2018.
5 « Performance du système de santé belge. Rapport 2019 », KCE Reports 313B, 2019.
6 « Inégalités de bien-être en Belgique. Construction de onze indicateurs composites pour mesurer le bien-être de différentes catégories de la population », Bureau fédéral du Plan, février 2019.