Espace de libertés | Septembre 2019 (n° 481)

Des maths à l’éducation


Des idées et des mots

« Un pasteur, alerté par la rumeur publique sur des choses peu usuelles qui semblent se passer dans [l’école de Beacon Hill], vient constater par lui-même ce qu’il en est. Il frappe à la porte. C’est une petite fille dénudée qui lui répond. “Oh mon Dieu !”, s’exclame le pasteur. “Il n’existe pas !”, répond la petite fille en lui refermant la porte au nez. » Cette jolie légende sur l’école fondée en 1927 par Bertrand Russell et son épouse, Dora Black, illustre les multiples facettes de ce grand penseur du XXe siècle. Mathématicien et philosophe anglais, père de la logique formelle, détenteur du prix Nobel de littérature de 1950 pour son engagement humaniste et de libre-penseur, Bertrand Russell est moins connu pour sa pensée sur l’éducation et son intérêt pour les pédagogies nouvelles. Afin de découvrir la philosophie de l’éducation de Russell, les coéditeurs de l’ouvrage, Normand Baillargeon et Chantal Santerre, ont traduit dix-huit de ses textes (dont quatorze le sont pour la première fois en langue française). Ces derniers abordent des thèmes aussi divers que les finalités éducatives, les curriculums, la discipline, la sexualité, les savoirs réputés inutiles, le lien entre éducation et religion… On y trouve quelques perles, dont un article daté de 1932 sur la sexualité et l’éducation. Le philosophe y défend une vision très libre et naturelle de la sexualité, insistant sur l’accès à une information juste et scientifique dès le plus jeune âge, prônant l’égalité entre les sexes. Il y développe l’idée selon laquelle le patriarcat ne peut s’accommoder de l’égalité entre les femmes et les hommes, en imaginant cette évolution de la société : si la filiation sociale par le père est l’enjeu principal du contrôle de la sexualité des femmes (à qui appartient l’enfant ?), la libération de la sexualité des femmes induira une diminution du rôle des pères… Sur ce point, l’histoire ne lui donnera pas raison. Russell est un penseur fourmillant, d’une époque révolue qui autorisait l’émergence d’intellectuels complets : ici, celle d’un mathématicien, philosophe, profondément engagé. (jdv)