Dans un avenir proche, il faudra faire preuve de davantage de patience pour disposer de soins corrects, estime-t-on dans le secteur de la santé. Pour Maggie De Block, la réorganisation du paysage hospitalier en réseaux serait, au contraire, synonyme de qualité.
Quelle santé publique nous sera réservée demain, lorsque de rationalisations en modernisations, chaque acte médical sera comptabilisé ? Cette question se fait pressante. Elle inspire jusqu’au Forum mondial de la Sécurité sociale qui se déroulera en Belgique du 14 au 18 octobre prochain, avec pour thème « Protéger la population dans un monde en constante évolution ». Plus d’un millier de professionnels de la sécurité sociale et de décideurs politiques seront présents à un moment où, faut-il le rappeler, on fête le 75e anniversaire du système de sécurité sociale belge. La huitième merveille du monde, a-t-on parfois entendu.
Mais les temps changent. Réformes, coupes claires, mises au pas de certains établissements… peuvent être synonymes de soins moins accessibles ou moins qualitatifs pour le patient, indiquent les mutuelles et les associations de malades. Les gouvernements successifs se sont bien sûr attachés à démontrer que cette perception est erronée. Cet hiver, la ministre de la Santé Maggie De Block a, par exemple, dégagé 22,5 millions d’euros afin de permettre à quelque 120 000 patients souffrant de dépression, de dépendance à l’alcool ou d’angoisse de se faire suivre par un psychologue à prix avantageux, l’État prenant le reste à sa charge.
Mais d’autres chiffres sont beaucoup moins optimistes. En juin dernier, les syndicats CSC, FGTB et CGSLB estimaient que le déficit de la Sécu grimperait jusqu’à 6,3 milliards d’euros d’ici 2024. Un montant qui « ne tient pas compte du dépassement de la norme de croissance de 1,5 % du budget des soins de santé estimé à 340 millions d’euros en 2020 ». Les syndicats appelaient le prochain gouvernement à « revoir la loi de réforme du financement de la sécurité sociale qui ne garantit actuellement pas un financement stable de la Sécu » et à « veiller à prolonger la dotation d’équilibre ».
Remodeler le paysage hospitalier
Dans un contexte budgétaire difficile, Maggie De Block a cherché à contrôler les coûts – un plan d’économies de 900 millions d’euros dans les soins de santé a été lancé en 2016 – mais aussi à réorganiser le paysage hospitalier et le financement des hôpitaux. « Créer des réseaux hospitaliers permettra de répondre efficacement aux nouveaux besoins des patients et à l’évolution des technologies médicales et des traitements. Tandis qu’un nouveau système permettra de financer correctement les soins qui varient peu d’un patient à l’autre en fixant des montants identiques dans tous les hôpitaux concernés », peut-on lire sur le site de l’Inami. Vingt-cinq réseaux d’hôpitaux (treize en Flandre, huit en Wallonie et quatre à Bruxelles) seront ainsi amenés à travailler ensemble.
Chaque type de soin doit être disponible dans un réseau, mais chacun des hôpitaux dudit réseau ne doit pas nécessairement offrir chaque type de soin. Quant aux prestations plus spécialisées, comme le traitement de cancers complexes ou la chirurgie cardiaque, elles ne seront pas disponibles partout. Les réseaux qui ne pourront pas les proposer devront conclure des accords de coopération avec des hôpitaux de référence éventuellement situés en dehors de leur zone d’influence.
La réforme du paysage hospitalier se trouve dans l’accord de gouvernement du 11 octobre 2014. Promis-juré, assure le gouvernement sortant, elle fera la part belle au patient dont les besoins constituent le point de départ du chantier ainsi entrepris. Les réseaux qui seront créés avec des hôpitaux de base, de référence et universitaires, iront vers davantage d’efficacité. Ils serviront mieux la patientèle via « un tout nouveau système pour un financement correct de soins justifiés » et « de qualité ». Voilà pour la communication officielle. En face, les avis sont pour le moins partagés.
Pour Jean Hermesse, le patron de la Mutualité chrétienne, cette mesure va dans le bon sens : « C’est une tendance qui permet d’organiser les soins pour une population. C’est véritablement une vision de santé publique. C’est une évolution qui n’est pas évidente, puisqu’il faut réunir des hôpitaux qui ont des cultures et des organisations différentes. Mais en fin de compte, c’est pour offrir un meilleur service à la population », analysait-il sur les ondes de la RTBF en juin dernier.
Au contraire, toute une partie du secteur de la santé rechigne et sonne l’alerte. À la veille des élections du 26 mai, la Fédération des maisons médicales avait dressé un bilan plutôt mitigé de l’évolution de la sécurité sociale, « devenue une variable d’ajustement budgétaire comme une autre ». Elle dénonçait une absence de concertation avec le pan francophone dans le chef du fédéral, un budget toujours plus étriqué et l’irruption d’une médecine à deux vitesses que l’entrée progressive d’acteurs privés dans le domaine de la santé ne ferait qu’encourager. La réforme du paysage hospitalier était en sus jugée comme allant à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans un registre proche, Philippe Devos, le nouveau président de l’Absym, la principale association de médecins, range d’un côté les hôpitaux qui, demain, pourront acquérir de nouvelles technologies faisant appel à l’intelligence artificielle (et accessibles principalement aux malades dotés d’une assurance privée), et de l’autre ceux qui n’auront plus que des techniques dépassées à offrir (aux moins favorisés). « Le vrai enjeu des soins du futur est d’abord technologique : être ou ne pas être accompagné de l’intelligence artificielle », confiait-il au Soir en juin dernier. « Déjà aujourd’hui, un logiciel acquis au CHC permet de jauger, mieux que le médecin tout seul, l’intérêt d’opérer un patient victime d’un AVC. »
L’expérience d’Iris
Parmi les réseaux hospitaliers créés ces dernières années, il y a notamment le bruxellois Iris qui a vu le jour en 1996. Plus de deux décennies de fonctionnement permettent de se faire une idée de ce qui attend les hôpitaux du reste du pays. Pour Étienne Wéry, l’administrateur délégué d’Iris, il y a une vertu évidente à réunir dans un même réseau des hôpitaux en raison de la « cohérence que cela peut apporter, que ce soit en termes d’acquisitions d’appareils de haute technologie et de types de soins ». En région rurale, les « réseaux devraient avoir une grande autonomie et pourraient à terme y gagner ». Et le patient, dans tout ça ? « Cette logique d’organisation devrait être favorable à ceux qui souffrent de pathologies rares. Elle peut devenir un gage de sécurité et de qualité pour ces patients. »
Mais, car il y a un mais, « le secteur craint que la réorganisation du paysage hospitalier ne cache de nouvelles économies budgétaires qui s’exprimeront par exemple par une diminution du nombre de lits et de services. Notamment dans les maternités et les d’urgence ». Alors que tout (la démographie qui va crescendo, l’augmentation du nombre de maladies chroniques, le vieillissement de la population, etc.) indique que les besoins vont exploser, imposer toujours davantage d’économies risque de plomber la qualité des soins donnés au patient. Le spectre d’une médecine à deux vitesses pointe ici aussi le bout de son nez.
Idéalement, pour Étienne Wéry, il faut réinvestir des moyens financiers dans certains services. De l’argent peut être trouvé en abaissant le remboursement de certains actes médicaux ou de certaines molécules. Il faudra aussi, poursuit le patron d’Iris, veiller à ce que le futur cadre législatif régional garantisse la pérennité de l’idée de service public dans les structures mixtes privé/public. « Afin que certaines valeurs restent protégées, à commencer par la capacité du patient à faire ses choix, notamment en cas d’interruption volontaire de grossesse. »
Une santé publique digne de ce nom implique aussi qu’un nombre suffisant de médecins sortent chaque année des universités. Or, la limitation des numéros Inami conjuguée à un examen d’entrée des plus drastiques en médecine laisse à penser que l’histoire a pris un sens diamétralement différent. La pénurie est à craindre dans les prochaines années : « Sur le terrain, la concurrence entre hôpitaux est déjà exacerbée. Car il s’agit de compter dans ses équipes les meilleurs spécialistes. Le jeu de l’offre et de la demande se traduit par des rémunérations qui vont en augmentant. Qu’en sera-t-il demain lorsque le numerus clausus aura encore réduit le nombre de médecins ? », s’inquiète Étienne Wéry.
Ici aussi, c’est le patient qui risque de payer la facture finale.