Espace de libertés | Septembre 2019 (n° 481)

Des soins de qualité pour tou.te.s


Dossier

Bâties dans les année 1970, les maisons médicales ont créé leur fédération une dizaine d’années plus tard, afin de construire un lieu de débats, de défense d’une politique de soins de santé primaires et de formation continue. Que sont-elles devenues après ces presque cinquante années d’existence ? Quels sont les défis auxquels elles font face ? Les valeurs qu’elles défendent ont-elles traversé les époques ?


Le mouvement des maisons médicales est né peu après Mai 68. Une époque de contestation qui a trouvé sa résonance chez des soignants idéalistes et en demande de changement. Peu à peu, les rencontres d’une poignée d’intellectuels (parmi lesquels Lise Thiry et plus tard Willy Peers, NDLR) au sein du Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM) sont devenues des briques, des murs, des équipes de soin et des valeurs qui ont pris corps dans des projets concrets.

 

Une chose est sûre : la raison d’être du mouvement est toujours vivante et plus que jamais appropriée aux changements sociaux et sociétaux qui sont apparus depuis. Riches de plus d’une centaine d’équipes francophones et d’une trentaine d’équipes flamandes, les maisons médicales continuent d’être des lieux de soins de première ligne généraliste et pluridisciplinaire. Elles comprennent trois professions de base : des médecins, des kinés et des infirmier/ère.s. Avec des accueillant.e.s, des psychologues, des assistants sociaux, des gestionnaires, mais aussi des diététicien.ne.s, des dentistes, promoteurs à la santé ou responsables de santé communautaire, des ostéopathes, des sages-femmes… et bien souvent avec des coordinateurs/trices pour les plus grosses équipes, elles proposent au cas par cas une palette plus ou moins large de soins. On y défend comme principe l’autogestion,  pour y garantir le contrôle démocratique des travailleurs sur la gestion de l’«entreprise »1. Beaucoup d’équipes se perçoivent comme des laboratoires sociaux en accordant une attention particulière aux relations non-hiérarchiques entre les travailleurs et avec les patients. Les maisons médicales de la Fédération signant par ailleurs une charte2 qui les engage à viser des objectifs ambitieux.

ok-illustration-sante-1-ere-ligne-2

Une médecine sociale

L’un de ces objectifs est de répondre aux besoins par une offre de soins de santé primaires de qualité (qui tiennent compte des acquis de la science, en gardant le souci d’éviter les dépenses inutiles), qui soient accessibles (sur le plan géographique, financier, culturel et au niveau des horaires), continus (à savoir dispensés par une équipe de thérapeutes qui travaillent dans une logique de suivi à long terme), globaux (qui tiennent compte de tous les aspects médico-psycho-sociaux et environnementaux) et intégrés (qui englobent l’aspect curatif, préventif, palliatif et la promotion de la santé). Le modèle des maisons médicales a le vent en poupe : la croissance est continue, et tant les jeunes soignants que les patients y affluent. Pour ceux-ci, l’entrée se fait souvent via l’accessibilité financière : puisque la majorité des maisons médicales travaille au forfait, nombre de patients s’y inscrivent car ils ne peuvent pas payer une consultation dans le système classique. Les maisons médicales perçoivent en effet chaque mois une somme par patient (définie en fonction de ses pathologies) via les mutuelles. Dès lors, le patient ne doit pas payer sa consultation chez le médecin, le kiné ou l’infirmier/ère. Même si le système, ouvert à tous, se base sur la solidarité entre riches et pauvres, malades et bien-portants et une mixité sociale, les maisons médicales de la Fédération soignent ainsi significativement plus de « pauvres » qu’ailleurs. Le pourcentage de personnes BIM (bénéficiaires de l’intervention majorée) se faisant soigner en maison médicale est nettement plus élevé que dans les patientèles des médecins généralistes installés en pratique libérale. Mais l’attention est aussi portée sur l’accueil des personnes, l’interculturalité, et une organisation qui tente de répondre aux besoins des populations et de développer l’approche collective, ce qui permet de travailler l’accessibilité de manière plus globale3.

Les déterminants de la santé

Témoins d’une dualisation de la société, nous voyons chaque jour l’écart se creuser au travers des récits de vie de nos patients : précarité des conditions de travail, burn-out dans toutes les couches de la population, familles monoparentales, souffrances liées au chômage, au logement ou à l’isolement, nous constatons à quel point cela influence la santé de notre population. Nous défendons donc plus que jamais l’intégration nécessaire des aspects psycho-médico-sociaux et la transversalité des politiques4. Sans travail sur les déterminants de la santé, nous avons l’impression de « vider la mer avec une petite cuillère » et voulons donc agir globalement. Parmi ceux-ci, il en est un qui mérite une attention toute actuelle : l’environnement. Encore peu connus, les effets de la dégradation de la qualité de l’air (entre autres) se font sentir : l’augmentation des maladies cardio-vasculaires, du diabète et d’autres maladies chroniques n’est pas uniquement liée à l’hygiène de vie mais aussi aux effets de perturbateurs endocriniens. Cela constituera forcément un challenge dans les années à venir. Mais ne nous y trompons pas : c’est vers un changement radical de modèle de société qu’il faut se diriger si on veut résoudre ces problèmes, notamment la remise en cause de la croissance économique infinie qui montre des limites humaines et écologiques.

Autonomie et émancipation

Un autre objectif poursuivi par les maisons médicales est de promouvoir l’autonomie des personnes qui font appel à leurs services, de même que renforcer leur capacité décisionnelle et favoriser l’émergence d’une prise de conscience critique des citoyens vis-à-vis des mécanismes qui président à l’organisation des systèmes de santé et des politiques sociales. Dans les faits, les patients ont toujours eu une place particulière dans les maisons médicales, mais on est encore loin de la participation systématique dont on avait rêvé. À l’heure du modèle « patient-partenaire » maintenant prôné par tous, nous avons encore du chemin à faire pour partager les bonnes pratiques et aller plus loin dans l’approche centrée sur les objectifs de vie des patients, tout en veillant à ne pas individualiser les problèmes – et in fine culpabiliser les personnes, ce qui est dans l’air du temps au vu de la politique santé du gouvernement sortant. L’émancipation reste un leitmotiv et se traduit sur le terrain par le développement de l’approche communautaire dans le domaine de la santé.

Les maisons médicales souhaitent également participer à l’élaboration de politiques de santé et de politiques sociales, avec le souci permanent du respect des valeurs de solidarité et de justice sociale. Au départ marginales, elles ont maintenant leur place officielle dans le système de santé. Non sans difficultés. Le récent moratoire sur les pratiques forfaitaires décrété par Maggie De Block montre que la bataille idéologique n’est jamais terminée. Mais il aura eu le bénéfice secondaire de démontrer que les maisons médicales délivrent des soins de qualité à moindre coût5 grâce à leur action préventive et leur approche globale de la santé. L’entente désormais cordiale entre médecins généralistes libéraux et maisons médicales démontre que chacun peut prendre sa place et la collaboration a pour but de soigner au mieux les citoyens belges. Quant à la justice sociale, les nombreuses alliances développées avec des partenaires de terrain aident à faire entendre la voix du monde associatif. Ce dernier appelle à contrer les mécanismes qui fabriquent les inégalités6 et à lutter pour la protection de la sécurité sociale.

Non, non, rien n’a changé ?

À sa création, le mouvement dénonçait une mauvaise distribution des richesses produites, l’alliance des pouvoirs politiques et économiques, une démocratie plus formelle que réelle, un risque de soins de santé à deux vitesses, des entreprises gérées par des patrons peu soucieux du bien-être de leurs ouvriers… tout cela produisant une société inéquitable dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture, du logement, de la justice. Cinquante ans plus tard, les politiques néolibérales se sont renforcées et l’écart s’est creusé, entraînant les conséquences socio-sanitaires déjà pointées du doigt dans les années 1970. Mais les alternatives ont surgi un peu partout. L’histoire des maisons médicales est liée à celle de beaucoup d’autres mouvements sociaux qui ont, ces dernières années, mis sur pied des alternatives réalistes tant dans le domaine de l’alimentation, de l’éducation que de la santé. Nous sommes maintenant appelés à faire réseau avec ces personnes, car l’urgence écologique et sociale demande une réponse qui dépasse largement le cadre des soins de santé.

 


1 L’autogestion concerne 51 % de travailleurs composant l’assemblée générale d’une maison médicale. Cela n’implique pas un mode unique de fonctionnement d’équipe, ni l’absence de fonctions de coordination voire de direction : chaque maison médicale s’organise selon ses choix.
2 Cf. La Charte des maisons médicales.
3 « Maisons médicales : quels impacts sur l’accès aux soins de santé pour les personnes précaires ? », rapport de recherche n° 32, 20 mai 2019, mis en ligne sur www.iweps.be.
4 Cf. Mémorandum de la Fédération des maisons médicales.
5 « L’audit sur les maisons médicales a été présenté aujourd’hui », mis en ligne le 23 janvier 2018, sur www.deblock.belgium.be.
6 Notamment via la Plateforme d’action Santé-Solidarité.