Le corps médical traite-t-il équitablement femmes et hommes ? Les diagnostics sont-ils identiques lorsqu’on applique le prisme du genre ? Rien n’est moins sûr ! La différenciation débuterait dès les bancs des facultés de médecine et, souvent, s’infiltrerait de manière inconsciente au cœur des cabinets médicaux. Et non, l’hystérie n’est pas spécifiquement féminine ! Vous en doutez ? Il est temps de changer de regard…
Prendre soin, respecter la dignité et l’autonomie des personnes, accompagner et écouter avec bienveillance, sans jugement : la relation avec le corps médical se devrait d’être orientée vers le bien-être des patient.e.s. Cela semble une évidence. Pourtant, une forme de violence physique ou psychologique fait parfois irruption dans ce secteur et les femmes subissent de surcroît un traitement de défaveur. Domination masculine, abus de pouvoir, reliquats du patriarcat, violences obstétricales, sexisme, misogynie : tels sont les constats dressés par différents médecins et juristes qui dénoncent une certaine mécanique qui reste ancrée dans l’inconscient collectif.
Pourtant, ce n’est pas faute d’un cadre légal. Comme le rappelle le médecin et sénateur honoraire Philippe Mahoux, un cadre législatif régit la relation médecin/patient et l’éthique médicale1. De nombreux textes garantissent les droits des patient.e.s et l’on peut également rappeler la loi régissant les soins de santé, la loi sur les droits du patient ainsi que le Code de déontologie médicale. Mais ceux-ci sont malheureusement mal ou peu connus des praticien.ne.s. D’où la question de l’ineffectivité de ces droits, qui ne bénéficient donc pas toujours aux personnes concernées, et l’importance d’une formation continue du personnel soignant. La question des rapports de pouvoir entre certains médecins et leurs patients est également cruciale et le constat est sans appel : ils sont encore souvent déséquilibrés et dissymétriques. Le patient étant dans un état de dépendance et de fragilité par rapport au médecin, qui adopte encore très fréquemment une posture de seul détenteur de la connaissance et du savoir. Voilà qui ne favorise pas le consentement éclairé du bénéficiaire de soins !
Médecine misogyne ?
Marie-Hélène Lahaye, juriste et autrice du blog « Marie accouche là » est encore plus critique face aux pratiques actuelles en matière d’obstétrique et d’accouchement. Elle dénonce sans ambages la surmédicalisation de la naissance en questionnant l’utilité de toute une série d’actes posés lors de l’accouchement dans de nombreux hôpitaux : épisiotomie quelquefois trop systématique, touchers vaginaux réguliers, monitoring du cœur du bébé via une ceinture, injections d’ocytocine pour accélérer les contractions, augmentation du nombre césariennes, etc. La juriste précise que ces protocoles sont basés sur le modèle fordiste (« accoucher vite pour libérer des lits ») et sont encore beaucoup trop imprégnés de culture patriarcale. La parole et les besoins des parturientes sont souvent mis de côté et trop rarement pris en compte par les praticien.ne.s. Elle dénonce des actes posés le plus souvent sans fondement scientifique empêchant dès lors les femmes de se réapproprier leur corps et leur accouchement. L’autrice va jusqu’à considérer l’obstétrique comme « profondément misogyne » et l’accouchement comme « le dernier bastion de la domination masculine ». En critiquant parfois durement de nombreuses pratiques de gynécologues et de sages-femmes, Marie-Hélène Lahaye s’est clairement positionnée en « lanceuse d’alerte », ce qui ne manque pas de faire réagir certains praticiens qui lui reprochent de forcer le trait et de ne pas tenir compte des nombreux progrès réalisés en la matière.
De là à affirmer qu’il existe un lien entre médecine et misogynie, il n’y a qu’un pas que certains osent franchir. Dominique Lossignol, médecin spécialisé en soins palliatifs et traitement de la douleur, confirme que le cursus médical actuel est encore fortement imprégné de culture patriarcale et véhicule toujours cette idée qu’être femme est en soi pathologique, voire que la femme est « un homme incomplet ». L’omission délibérée de la mention du clitoris lors des cours d’anatomie, justifiée jusqu’il y a peu par le fait qu’il n’est pas un organe reproducteur, en est un bon exemple.
L’utilisation de certains termes techniques hérités du passé contribue également à reproduire une forme de domination masculine sur le corps des femmes. On pense au terme « fœticide », utilisé lors d’une interruption médicale de grossesse, qui fait clairement référence à l’« homicide » et charge donc négativement la perception de la patiente sur cet acte médical. L’« hystérectomie », autre terme usité en médecine qui, étymologiquement parlant, signifie l’ablation de l’utérus, rappelle malencontreusement les théories machistes du XIXe siècle relatives à la fameuse « hystérie » des femmes réputée localisée dans leur utérus et source de leurs troubles de comportement.
L’effet performatif de ces termes entraîne culpabilité et dévalorisation des femmes. Et, de surcroît, il en dit long sur des pseudo-réalités qu’insidieusement, la société actuelle continue à vouloir leur assigner. Un vieil héritage que l’on peut faire remonter à la théorie des tempéraments d’Hippocrate qui distinguait les « maladies propres aux hommes et celles propres aux femmes », à Charcot et Freud. Un contre-exemple, Gabrielle Suchon qui, au XVIIe siècle rédigea un traité relatif à l’égalité des sexes et à la liberté des femmes… dont les ouvrages furent mis à l’index.
Pour le Dr Lossignol, le domaine de la psychiatrie n’est pas non plus épargné par le sexisme et la misogynie. L’identification genrée des troubles du comportement et de la personnalité a perduré pendant des années, avec comme exemple le Manuel de diagnostic et statistique des troubles mentaux. Également désigné par le sigle DSM il décrit et classifie les troubles mentaux. Dans la liste des comportements dits anormaux du DSM-5, on observe par exemple que les hommes sont qualifiés d’ »antisociaux » et les femmes de « dépendantes ». Il y a donc du pain sur la planche pour faire évoluer les mentalités…
Un regard biaisé dès l’unif
Des tests de situation réalisés sur des étudiant.e.s dans le cadre de leur cursus ont en effet prouvé à quel point le genre intervient dans la pose d’un diagnostic médical. Pour les mêmes symptômes présentés à un groupe d’étudiant.e.s devant diagnostiquer une maladie, ceux-ci optaient tantôt pour une maladie auto-immunitaire grave si le patient était un homme, tantôt pour une fibromyalgie (maladie non reconnue et non remboursée par la sécurité sociale) si c’était une femme. Autre exemple de minimisation genrée : l’endométriose (violentes douleurs pelviennes lors des menstruations) n’est pas assez prise au sérieux par le corps médical et est encore trop souvent reléguée au rang des douleurs « normales » que les femmes devraient supporter stoïquement lors des menstruations.
En se penchant sur les raisons historiques de cette colonisation du corps des femmes qui traverse les siècles depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, sur ce corps « impur », « malade », « incomplet », « hystérique », incapable de poser des choix éclairés, l’on peut décoder ce qui explique qu’encore aujourd’hui, les inégalités structurelles perdurent entre les hommes et les femmes. Clairement, les bancs des universités constituent les premiers lieux où les changements de perception et de mentalités doivent s’opérer. Mais ce ne sont pas les seuls. La première étape est pourtant facile à saisir : écouter davantage les patient.e.s !
1 Tous les propos cités dans cet article ont été tenus lors du colloque « Femmes et violence dans les soins médicaux. Un traitement de défaveur ? » organisé par le CAL/Namur le 27 mars dernier.