À l’opposé des mégaprisons, une vision de la peine d’enfermement différenciée, individualisée et ancrée dans la société est en train de voir le jour. Afin d’accueillir les détenus, de les accompagner et de les préparer à leur réinsertion, le projet européen « Rescaled » prône la mise en place de petites maisons de détention.
« The next big thing will be a lot of small things » (la prochaine grande chose sera faite d’un tas de petites choses), telle est la punch line du nouveau projet Rescaled présenté au printemps dernier devant des députés européens et le ministre de la Justice Koen Geens. L’équipe de la plateforme Rescaled, Recommandations for European Policymakers for detention of the futur, présentait son projet mené par une dizaine d’associations actives en prison en Hollande, surtout, mais aussi en France, au Portugal et en Belgique. Parmi les partenaires belges, De Huizen/Les Maisons/The Houses ainsi que trois universités : UHasselt, UGent et la VUB.
En guise d’introduction, le directeur de la prison d’Oudenaarde, Hans Claus, et sa collègue criminologue à la KULeuven, Hélène Devos, ont dépeint une réalité carcérale alarmante, dénoncée depuis des décennies en Belgique et en Europe : des prisons surpeuplées, un taux de récidive très important, des dispositifs de réinsertion insuffisants. Et de surcroît, des condamnations régulières de la Belgique et d’autres pays d’Europe par la Cour européenne des droits de l’homme ou par le Comité européen de lutte contre la torture du Conseil de l’Europe. « Tout cela s’explique, entre autres, par le fait qu’au XIXe siècle, la Belgique était un État pilote en matière pénitentiaire. Nous avons cru que c’était gagné pour toujours. Ces quarante dernières années particulièrement, nous pouvons parler d’un surplace et d’un sous-investissement »1, constate Hans Claus.
Petite structure pour grand projet
Pour y remédier, l’ABSL belge De Huizen/Les Maisons/The Houses a été créée en 2014. Née dans le giron de la Liga voor Mensenrechten (Ligue des droits humains néerlandophone), sous l’impulsion de Hans Claus, qui en est aussi le secrétaire et le porte-parole, cette structure cherche à convaincre le gouvernement fédéral de mettre en place des entités pénitentiaires à petite échelle, davantage tournées vers la société et qui pourraient offrir un accompagnement adapté à la réinsertion des détenus. La structure, composée de chercheurs, de directeurs de prison et de criminologues, a retenu l’attention du ministre Koen Geens et se développe depuis en parallèle au niveau européen à travers la plateforme Rescaled.
Son objectif ? Réorienter totalement les politiques carcérales afin de remplacer, à terme, les grandes prisons par des maisons de détention. Un nouveau type d’enfermement est proposé au niveau des vingt-huit pays de l’Union européenne, à savoir des établissements de plus petite taille implantés au cœur des villes. « Le concept de “maison de détention” résulte de deux ans d’étude pluridisciplinaire croisant criminologie, architecture, économie, philosophie. Des journalistes et hommes politiques y ont été associés. La maison de détention est petite, avec une capacité de maximum 30 places, elle possède des régimes différenciés de sécurité et de programmes proposés, elle est ancrée dans la société, dans la ville, et pas à côté. Nous souhaitons que ce nouveau modèle remplace le vieux paradigme de l’incarcération classique, dans des prisons »2 : ainsi le projet est-il décrit par son porte-parole.
« La détention du futur »
Selon Hélène Devos, la détention doit s’articuler autour de trois piliers. Premièrement, un petit nombre de détenus par maison qui permettrait une approche plus personnalisée de l’enfermement ainsi qu’une responsabilisation accrue des prisonniers. Deuxièmement, une différenciation des maisons en fonction du type de détenus et du risque en termes de récidive et de sécurité. Car pour elle, « certains ont parfois besoin d’une infrastructure plus sécurisée que d’autres ; certaines maisons seraient mises sous haute sécurité et l’idée serait que les détenus puissent, en fin de peine, être transférés dans des maisons à plus faible sécurité pour pouvoir mieux se préparer à leur sortie ».
Et troisièmement, ce qui semble être le point le plus innovant du projet est l’intégration des détenus dans la société. Rescaled souhaite permettre aux détenus de se rendre utiles auprès de la communauté et du voisinage en implémentant les maisons dans des zones d’habitation. « Il faut placer ces structures dans des quartiers d’habitations pour favoriser une interaction entre les détenus et leurs voisins et qu’ils puissent se sentir utiles. Une idée serait de permettre aux détenus de cultiver des fruits et des légumes pour les vendre aux habitants du quartier ou de tenir une boutique de réparation d’objets », termine Hélène Devos.
De 15 à… 1 200 détenus
Le ministre de Justice trouve l’approche intéressante, mais il estime qu’elle ne peut pas remplacer totalement celles des prisons actuelles. Tout en soutenant Sterkhuis, le premier projet pilote de maisons de réinsertion pour 15 détenus en fin de peine – ce qui n’est déjà pas exactement le projet des maisons de détention – dont la première ouvrira en septembre 2019 à Malines et la seconde début 2020 à Enghien, Koen Geens poursuit à Haren, à la périphérie de Bruxelles, la construction de la future mégaprison qui aura une capacité de 1 200 places.
Pour le CAL et d’autres associations actives en prison comme l’Observatoire international des prisons ou Bruxelles Laïque, ces projets pilotes peuvent être innovants, à condition qu’ils s’articulent autour d’une politique pénitentiaire réductionniste. Et surtout, qu’ils développent un véritable projet pédagogique porteur de sens pour les détenus. En effet, il semble totalement contradictoire et incohérent de poursuivre la construction d’une prison pour 1200 détenus et, dans le même temps, de soutenir un projet pilote porté par une ASBL qui dénonce précisément les dérives de ce type d’enfermement à grande échelle.
Par ailleurs, les risques de voir le filet pénal s’élargir en n’accordant le bénéfice de ces structures qu’aux détenus en fin de peine sont réels. Pour le CAL, ces maisons de détention devraient également être accessibles à d’autres catégories de détenus. Sans être abolitionniste, le CAL s’inscrit cependant dans une optique réductionniste de l’enfermement, qui doit globalement être repensé. La création de plus petites unités avec une catégorisation des profils, fait partie des pistes suggérées. Il est donc fortement regrettable que le seul projet pilote prévu à Malines s’articule uniquement pour les détenus en fin de peine. Et qui plus est, qu’il soit géré par une société de sécurité privée (G4S). En effet, en agissant ainsi, on délègue une compétence régalienne à des structures privées, comme aux États-Unis, par exemple, avec les dérives que l’on connaît.
1 « Rescaled : des prisons dans la ville », mis en ligne le 24 avril 2019, sur www.prison-insider.com.
2 Ibid.