Espace de libertés | Septembre 2019 (n° 481)

Coup de pholie

Convaincu.e.s que le temps presse, que le déni conduit l’humanité dans le mur, de nombreux écomilitants.e.s souffrent d’éco-anxiété (anxiété climatique). Le blues du militant vert s’insinue dans le corps, entre angoisses et culpabilités, à coups de somatisations multiples et ultrasensibilités dès qu’on cause raz-de-marée, sécheresse ou inondations. S’élèvent de certains réseaux sociaux les voix de quelques-un.e.s qui ont pété les plombs. La transition écologique étant ralentie, voire empêchée par les lois propesticides, prolobbys pharmaceutiques, automobiles, nucléaires, armements, les « éco-anxieux » (proches du déjà connu burn-out militant) peuvent tomber en larmes devant une caissière d’un hypermarché qui vend encore des sacs en plastique. Ces gens sensibilisés, souvent formés politiquement, parfois même activistes, se trouvent atténués alors qu’ils et elles luttent, savent. On se représente les dépressifs et dépressives comme des personnes inactives ou désactivées. Ils et elles rejoignent les 298 millions d’individus dans le monde qui souffrent de dépression.

Marée noire de burn-out, bore-out, le greenwashing et autres inepties conséquentes des médiocraties que les États du « Nord » développent en termes de « protection de l’environnement », tout cela invoque une perte de contrôle qui fragilise ces personnes tournées vers le bien commun local et global.

On connaît les syndromes post-traumatiques, mais une psychiatre états-unienne, Lise Van Susteren, diagnostique un stress « prétraumatique » répandu, entre autres, dans les labos et les universités : « de la colère, de la panique et des pensées intrusives et obsessionnelles chez ceux qui ne peuvent qu’alerter de la survenue imminente d’un drame écologique ». Une peur de ce qui n’est pas encore arrivé (enfin, pas partout).

Cette angoisse névrotique morale est autant individuelle que collective. On trouvera aussi des groupes de classes sociales privilégiées créant des ghettos survivalistes aux États-Unis pour se préparer au pire, auquel ils n’ont pas été confrontés. Un autre pendant alarmiste est la collapsologie (étude de l’effondrement) qui scénarise l’après-pétrole. Là aussi, organisation en éco-hameaux pour ne plus subir, pour s’extirper du lieu urbain, commun, pour s’insulariser, « s’autonomiser » (sic).

Que disent les Inuits, les insulaires, les peuples des déserts, chassés de leurs villages, de leurs terres, par la fonte des glaces, la montée ou la disparition des eaux ? Cette anxiété n’est-elle pas d’abord une culpabilité morale et « blanche » ? Ne devrions-nous pas plutôt cultiver le champ de la responsabilité et agir en conséquence ?