Espace de libertés | Avril 2021 (n° 498)

Cinquante nuances de jaune


Des idées et des mots

Réaction naturelle de l’organisme pour lutter contre les infections, La Fièvre dont parle Aude Lancelin, ancienne directrice adjointe de L’Obs et de Marianne, est celle qui s’est emparée du mouvement de protestation populaire qui a échaudé la France de l’automne 2018 au printemps 2019. C’est dans la peau de Yoann Defresne, électricien de 35 ans qui a « raté son insertion », venu à Paris avec La Creuse Ensemble pour crier son désarroi et bien malgré lui sorti de l’anonymat de la marée jaune que l’auteure nous entraîne pour nous faire revivre cette période fiévreuse. Une colère sourde, puis de plus en plus aiguë, qui n’a cessé de monter jusqu’à l’embrasement pour se muer en véritable guerre des classes violemment réprimée. Une période fébrile que l’ancienne journaliste dissèque par la voie romanesque et donne à revivre par l’intermédiaire d’antihéros. Dans Le Monde libre, pour lequel elle a reçu le prix Renaudot en 2016, Aude Lancelin s’était plongée dans les eaux troubles du quatrième pouvoir en racontant de l’intérieur les dérives du système médiatique français. Dans La Fièvre, elle fait de cet objet d’analyse un personnage en proie aux effets secondaires de cette poussée fiévreuse. Ainsi entre-t-on dans la peau du journaliste Eliel Laurent, en quête d’une figure emblématique pour la rédaction d’un portrait, et qui remet en question les ficelles de son métier et ses collusions avec un milieu politique bien méprisant envers les petites gens. Certes imaginaire, le tableau est on ne peut plus réaliste et offre une critique sociétale pointue. Parce que sous les feux de l’actu, un événement en remplace un autre, parce que « si on ne songeait pas à en laisser la trace, on pouvait même les faire disparaître à jamais », ce roman donne aux Gilets jaunes une forme de pérennité, à défaut de la postérité. (ad)