Espace de libertés | Avril 2021 (n° 498)

Les conditions d’une nouvelle approche de notre environnement


Dossier

L’origine zoonotique de la pandémie a remis l’importance du respect de l’environnement sur le devant de la scène. Mais cela semble encore insuffisant eu égard aux défis qui nous attendent. Quelles solutions devons-nous rapidement trouver afin d’éviter les bouleversements climatiques et environnementaux qui sont annoncés ? Et surtout, comment les mettre en place ?


Les confinements dus à la gestion de la Covid-19 ont entraîné une baisse d’environ 6  % des émissions de CO2 dans le monde en 2020 par rapport à 2019. Pour la première fois depuis bien longtemps, la courbe de ces émissions qui réchauffent le climat de notre planète a diminué. Mais avec quels coûts et quelles augmentations – elles aussi exceptionnelles – des inégalités1 ! Six pour cent, c’est l’ordre de grandeur dont il faudrait réduire les émissions chaque année pour respecter pleinement l’objectif de l’accord de Paris. On peut non seulement prédire que ce ne sera pas le cas en 2021, mais on peut pronostiquer au contraire qu’elles s’intensifieront. Les émissions sont avant tout le résultat de notre énorme dépendance aux énergies fossiles  : charbon, pétrole et gaz2. Tant que des millions d’usines, de moteurs, de chauffages continueront à en brûler, les émissions se poursuivront.

Redresser la barre par l’action

Le programme du Green Deal a permis d’adopter des objectifs de réduction d’émissions de 55  % au sein de l’Union européenne entre 1990 et 2030. Cela signifie un effort à fournir en dix ans d’une intensité six fois plus élevée que sur la période antérieure. Il faut aussi rappeler que l’Union européenne ne compte que pour 10  % des émissions mondiales. D’autres grands pays se positionnent en faveur d’efforts à mener et la COP26 de fin 2021 sera à nouveau un rendez-vous clé pour confirmer ces annonces.

Les politiques climatiques sont prises dans un terrible dilemme qui menace de saper la crédibilité même de l’action politique. D’un côté, les rapports scientifiques démontrent sans ambiguïté que, faute de diminution des émissions de plusieurs pourcents par an, nous allons vers des bouleversements dangereux. Ceux-ci se profilent déjà comme effrayants avec des incendies majeurs, des cyclones plus forts, des phénomènes de sécheresse et la modification des saisons. Et, de surcroît, d’ici deux ou trois décennies, ces bouleversements pourraient causer de très grands troubles, y compris sociaux et politiques. D’où la proclamation d’objectifs ambitieux dans des États démocratiques, mais aussi peu producteurs d’énergies fossiles (comme l’UE), et où l’économie est plus tertiaire qu’industrielle. Déjà, dans nos pays, la tâche sera difficile à mener à bien et, dans le reste du monde, on voit cette transition plus lente encore. Le dilemme est celui d’affirmer des buts nécessaires en se heurtant à la difficulté profonde de les honorer.

Trois axes de propositions transformatrices

Du côté des propositions, les réformes structurelles à entreprendre sont en partie identifiées, même si elles ne font pas l’unanimité et se heurtent à de nombreuses résistances. Résumons-les en trois axes.

Du côté des technologies, accélération vers les énergies renouvelables et les techniques de réduction de consommation. Mais aussi critères écologiques à respecter dans l’utilisation d’autres techniques. Par exemple, la numérisation du monde par les TIC entraîne une augmentation telle que les émissions associées pourraient dépasser celles des véhicules automobiles dans le monde dès 20253. Il n’est plus possible de concevoir des innovations technologiques sans respecter des critères de pollution  : à enseigner dans les instituts de formation, à diffuser dans les milieux professionnels, à réguler par des normes.

Du côté de l’économie, les changements à mener sont cruciaux également. D’abord, une réforme des prix qui favoriserait les énergies non carbonées, en acceptant que l’énergie soit plus chère pour éviter des impacts climatiques incomparablement plus coûteux. Or, aujourd’hui, les énergies fossiles restent subventionnées… Un deuxième point (il y en a d’autres) est la transparence sur les investissements en carbone des grands fonds financiers, c’est un mouvement en cours qui met les investisseurs face aux objectifs de réduction adoptés (notamment par l’accord de Paris).

unenouvelleapprochedenotreenvironnement2

Du côté sociopolitique, d’autres transformations sont à effectuer. Le logiciel de croissance de la consommation comme identifié au bonheur ne correspond plus aux limites de nos écosystèmes. Une nouvelle place de l’humain est à trouver, non seulement parmi les autres espèces, mais par rapport au système économique. Celui-ci a situé en son centre l’efficacité et les gains obtenus de cette façon. Et, en effet, l’efficacité des productions de biens et de services s’est accrue à un degré inimaginable par les générations qui ont précédé. Mais ce succès s’accompagne d’un terrible double échec qui délégitime le système actuel. Le rendement croissant dans l’utilisation des ressources n’a pas mené à en employer moins (c’est ce que l’on appellerait la sobriété), mais au contraire à en employer plus, du fait de la croissance sans fin inhérente au capitalisme et au productivisme. D’où une menace écologique, sans parler de la perte de sens pour des individus devenus « ressources humaines ». D’autre part, les gains ainsi réalisés ont été accumulés de façon disproportionnée par les individus déjà les plus riches. Aboutissant à ces rapports annuels désespérants où les inégalités ne font que croître vers des niveaux pharaoniques4.

Du côté du monde vivant

La croissance de la population humaine et surtout celle de son pouvoir technologique provoquent de très profonds impacts sur le monde vivant. Le mouvement général est celui d’une artificialisation du vivant au détriment des équilibres antérieurs. Un chiffre marquant est le poids total de tous les mammifères encore non domestiqués passé aujourd’hui à quinze fois moins que celui des animaux d’élevage5. C’est avant tout l’expansion des zones agricoles aux dépens des espaces non cultivés qui a mené à ce qu’on peut qualifier aujourd’hui de début de la sixième extinction. L’envahissement des zones autrefois occupées par d’autres espèces s’accompagne de polluants redoutables comme les néonicotinoïdes en agriculture qui déciment très fortement les insectes et, par conséquent, leurs prédateurs. Les zoonoses sont en croissance du fait de l’accroissement de l’élevage et de la déforestation  : ceux-ci augmentent le nombre de contacts avec les humains et des réservoirs de virus. L’épisode disruptif de la Covid-19 est-il de nature à faire prendre conscience de cette notion de One Health dans laquelle la santé des écosystèmes est en connexion avec celle des humains ?

Un certain nombre de principes énoncés ci-dessus pour le climat sont également favorables à la protection de la biodiversité. Mais il faut aussi des normes spécifiques, en particulier sur l’exploitation agricole, et plus généralement des formations adéquates dans tous les domaines professionnels où la nature ne serait plus considérée comme un ensemble de ressources dont on ne se soucie que pour les exploiter. Ici aussi, c’est aller à rebours de fonctionnements bien établis. La partie n’est cependant pas perdue, vu la sensibilité croissante à ces sujets. Un point clé pour ces transformations écologiques profondes et de longue haleine sera la question des inégalités sociales. Sans les réduire, le système politique sera délégitimé. Et sans prendre en compte les inégalités des situations face aux politiques environnementales (hausse du prix de l’énergie, contraintes sur les agriculteurs, et mille autres sujets), celles-ci ne dépasseront pas les propositions répétitives.


1 « La pandémie de Covid-19 pourrait avoir fait basculer environ 100 millions d’individus dans l’extrême pauvreté, le pire recul en une génération », écrit le PNUD dans son « Rapport sur le développement humain 2020 ».
2 Edwin Zaccai, Deux degrés. Les sociétés face au changement climatique, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.
3 C’est-à-dire 8  % du total. Cf. Jean-Pierre Raskin, « Impacts écologiques du hardware  : situation et pistes de solutions », intervention lors de la vidéo-conférence sur cedd.pes.com « Impacts écologiques des TIC. Quelle ampleur ? Quelles solutions ? », d’après un rapport de The Shift Project, 2 mars 2021.
4 Selon le « Rapport sur les inégalités mondiales 2021 » d’Oxfam, 1  % les plus riches posséderaient plus de deux fois les richesses de 6,9 milliards de personnes.
5 Yinon M. Bar-On, Rob Phillips et Ron Milo, « The Biomass Distribution on Earth », dans PNAS, 18 juin 2018.