Dans un monde où les crises sanitaires, environnementales, économiques et sociales semblent inévitables, le féminisme apparaît comme l’une des clés pour instaurer un projet durable : véritable outil de compréhension de nos sociétés, mais surtout moyen de repenser nos démocraties.
L’histoire du féminisme s’accélère. Sa géographie s’amplifie. Son influence s’étend. Et si, en promouvant le projet politique d’une société durable, les féminismes du xxie siècle, de plus en plus visibles, de plus en plus médiatisés, constituaient, parmi d’autres types d’engagements et de rapports au monde, les signes annonciateurs d’un nouveau moment d’émancipation pour toutes et pour tous ?
Il est nécessaire de comprendre et de résoudre les grandes crises mondiales – sanitaires, environnementales, socio-économiques et démocratiques – actuelles. Contre les nationaux-populismes, pouvoirs exerçant leur prédation sur les autres et sur la planète, qui, de Donald Trump à Jair Bolsonaro, ont fait la preuve de leur incapacité à gérer, en particulier, la Covid-19, le féminisme fournit de nombreux apports scientifiques et notamment épistémologiques, mais aussi narratifs, pratiques et programmatiques. Il permet d’affirmer une liberté individuelle et une capacité collective de repolitiser les relations sociales, de reformuler les composantes du progrès, de subvertir puis de réinventer le pouvoir au service de toutes et de tous, de recréer du débat et du lien. Cette réinvention passe par un récit et un agenda constructifs, une gouvernance et un leadership inclusifs et coopératifs.
Le féminisme valorise la recherche
Face à la culture du soupçon, du clash et du buzz, face aux désordres de l’information, la référence à la science est indispensable. La recherche pluridisciplinaire est au cœur du féminisme. Les études de genre sont désormais mobilisées par l’ensemble des disciplines universitaires, et pas seulement par les sciences humaines et sociales, pour réduire les « angles morts » de la compréhension du monde. Le rôle de la recherche, d’une recherche engagée, consiste aussi à faire exister des sujets dans l’espace public pour leur donner une légitimité, pour en montrer l’utilité.
Le féminisme s’appuie par ailleurs sur les expériences de terrain, sur les actrices et sur les acteurs – militant.e.s, citoyen.ne.s, jeunes – pour qu’ils et elles partagent leur savoir, invitent au changement et inspirent, comme la recherche académique, la décision politique nationale et internationale. C’est grâce aux travaux féministes que les violences sexuelles, les féminicides, les discriminations salariales sont devenues des préoccupations médiatiques et politiques. L’écoféminisme a joué un rôle majeur dans la mise au jour des destructions de la nature et de la biodiversité et du rôle essentiel des femmes en matière de protection des écosystèmes. Les exemples sont nombreux.
Aujourd’hui, les agendas gouvernementaux issus de l’éthique du care comme ceux du Green New Deal démontrent l’intrication de toutes les formes de domination, mais aussi les interdépendances humaines. La diplomatie féministe et l’Agenda 2030 des Nations unies promeuvent, grâce aux résultats scientifiques et au travail militant, une approche gender conscious transversale des politiques publiques. De fait, la lutte contre les inégalités liées à l’identité sexuelle et fondées sur les normes de genre est une ressource pour une contestation élargie, permettant d’articuler toutes les indignations, toutes les revendications d’émancipation et de soutenabilité, partout sur la planète. Car il s’agit aussi de formuler des propositions, pour passer du « non » au « oui ».
Renouveler les pratiques démocratiques
Ce « oui » propositionnel se donne également à voir lorsque le féminisme apporte sa pierre au renouvellement des pratiques de pouvoir. Il s’agit alors d’un style, d’une manière de gouverner qui gagnent du terrain, qui ne sont pas dominateurs, descendants, qui ne sont pas non plus doux ou fragiles. C’est un leadership combatif, exigeant, mais aussi respectueux des adversaires, bienveillant, participatif et ouvert, comme celui que revendique la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, récemment réélue et dont la gestion de la Covid-19 est plébiscitée.
Qui dit féminisme dit aussi débat, confrontation d’opinions, et refus de la violence. Or, partout, les conditions et les lieux de discussion, de conversation démocratiques sont aujourd’hui fragilisés. Et ce, alors que les citoyennes et les citoyens, mais aussi les plus jeunes, en particulier à l’école, sont en demande d’échange et de dialogue. Ils et elles veulent participer au monde commun. Là encore, le féminisme a beaucoup à apporter, car il valorise l’imagination, l’inventivité, la création, qu’elles soient intellectuelles, corporelles ou spirituelles, en art, en littérature, en sport, dans la vie quotidienne. Il montre qu’élargir le champ des possibles est non seulement une nécessité, mais une possibilité.
Répondre à un besoin de subjectivité
L’élection de Trump, de Bolsonaro, d’Orbán, et l’héritage qu’ils laissent déjà, sont autant un défi qu’une opportunité pour les démocraties, et au-delà. Un contre-projet politique efficace passera nécessairement par une ambition d’unité, et donc par des entreprises de mobilisation combattant l’individualisme, le repli sur soi, et favorisant l’écoute, le partage, la solidarité, la confiance dans la science. Pour que cela ne reste pas des mots creux, il faut favoriser des lieux, des productions, des processus d’échange. C’est un combat, un engagement, qui prend corps dans toutes les sphères de socialisation.
Une action politique qui se nourrit de la riche histoire et des multiples courants du féminisme pour décrypter le réel dans sa complexité et transformer en profondeur les rapports sociaux, les structures sociales, n’est pas la seule possible. Mais elle est inspirante par sa dimension herméneutique et par sa capacité mobilisatrice et fournit des réponses à un besoin de subjectivité et de liberté largement partagé.
Ce texte issu de Marie-Cécile Naves, La démocratie féministe. Réinventer le pouvoir. Il a été publié en ligne sur www.theconversation.com le 22 octobre 2020 et est ici reproduit avec l’autorisation de The Conversation France.