Espace de libertés | Avril 2021 (n° 498)

Gérer le chaos, ça s’apprend ! (Patrick Lagadec)


Opinion

Depuis un an, notre monde aurait basculé dans le chaos : confinements, pertes d’emplois, activités « non essentielles » gelées, taux de mortalité dépassant ceux de la Seconde Guerre mondiale… Et sidération ! Ne pouvait-on pas prévoir ? Ne pourrions-nous pas anticiper les nouvelles crises en devenir ? Et comment ? Réponses avec Patrick Lagadec, spécialiste de la gestion de crise et des risques.


« Qu’est-ce que le chaos ? C’est la plus profonde terreur des humains. C’est quand on perd ses références, quand les cartes qui sont à disposition ne sont plus les mêmes et quand l’on s’acharne à essayer de retrouver sur cette carte les mêmes lieux et repères qui ont disparu, avec un GPS qui ne fonctionne plus. Il faut donc retrouver de nouveaux ancrages, de nouvelles valeurs, et opérer ce passage entre les deux sans se prendre le premier rocher. Mais penser que l’on pourra tout anticiper serait une erreur, car à la première déconvenue, cela créerait un séisme intérieur et social qui ne constitue pas la bonne voie de sortie. Néanmoins, se remettre en marche et inventer, c’est vraiment important. Il faut essayer de se reforger des repères avec les autres, pour retrouver des capacités d’inventivité. Et remettre de la sagesse là-dedans.

Palestinians enjoy at Gaza beach on a rainy storm in Gaza Strip, on February 18, 2021. amid coronavirus disease (COVID-19) in the Gaza Strip.  (Photo by Sameh Rahmi/NurPhoto) (Photo by Sameh Rahmi / NurPhoto / NurPhoto via AFP)

© Sameh Rahmi/NurPhoto/AFP

Mais comment apprendre la préparation, les réponses à apporter aux crises ? Quand on s’exerce sur des scénarios de crise, c’est souvent avec des problèmes connus et avec les réponses afférentes. Alors que la préparation adéquate consiste plutôt à se mettre dans un scénario de haute surprise, d’ouvrir une page blanche, de penser les grandes erreurs à éviter, d’identifier “le sujet” dont il est question et de proposer des compulsions de solutions inventives, avec des acteurs que vous ne connaissez pas forcément, mais avec qui il serait fructueux de travailler. Voilà comment je prépare les personnes à la gestion de crise, en les mettant en position intellectuelle et psychique. Parallèlement, il faut malgré tout entraîner les experts à se retrouver dans les situations extrêmement complexes des crises d’aujourd’hui, avec l’exposition à de nouveaux paradigmes ; car sinon, l’expert est happé par une exigence de certitudes et de réassurances. Il faut donc un entraînement sur ce qu’ils peuvent articuler quant à ce qu’ils savent ou pas, en situation de grande réactivité. Car celui qui n’est pas entraîné va redonner la règle de trois et cela ne va pas fonctionner. Tout en conservant du côté des politiques la capacité de critiquer et de prendre des décisions. Par rapport aux jeunes générations, il faut aussi les mettre en situation de prendre leurs responsabilités et de pouvoir agir, c’est beaucoup plus porteur que de leur dire : “Surtout, ne bougez pas, on s’occupe de tout !” Ça ne résout pas tout, mais cela les met en position de pouvoir trouver des ressources pour réagir, de sortir de la passivité en attendant que tout rentre dans l’ordre et dans le cadre. Le dernier point important, c’est d’éviter la défiance, pour éviter la perte de confiance, en montrant, de la part des responsables qu’ils sont là, qu’ils ont l’étoffe pour faire face à la situation, mais qu’ils sont aussi prêts à corriger les erreurs et à faire un retour sur expérience, en temps voulu. » (ec)