Espace de libertés | Avril 2021 (n° 498)

Édito

Il y a un an exactement, nous travaillions déjà sur le concept de « monde d’après », celui des espoirs permis lorsque nous sortirions de ce cauchemar viral. Plusieurs personnalités s’exprimaient alors au pied levé au sein des pages de votre magazine sur leur vision de l’« après » dans leurs domaines respectifs (politique, social, culturel…). Aujourd’hui, nous remettons le couvert. Car, si nous sentons que cette envie bouillonnante d’évolution, de redéfinition d’un monde qui éviterait les écueils, les biais, les mauvais choix, les habitudes mortifères d’avant la pandémie est toujours présente, la concrétisation de cette ambition semble difficile à atteindre.

Pourtant, de nombreux et nombreuses philosophes, des économistes, des expert.e.s en politique ou dans la préservation de l’environnement et de la santé publient à tour de bras livres et essais sur la question. Leurs prolifiques réflexions aboutissent généralement à des constats communs : trop de grains de sable dans le système qui régit nos sociétés, une sclérose idéologique qui freine le changement vers un futur plus désirable basé sur une nouvelle vision, un épuisement de notre planète à tous les niveaux, dont humains et non-humains pâtissent. Et une urgence absolue de réagir face à une série de problématiques (disparités socio-économiques, réchauffement du climat et perte de la biodiversité, inégalités dans l’accès à la santé, à la nourriture, à nos droits…) qui nous mènent vers d’autres crises plus ou moins imminentes.

Selon le constat de Roland Gori dans notre « Grand entretien », « notre présent est toujours illuminé par les astres morts des concepts, des notions aussi bien intellectuelles et affectives que morales, des principes fondateurs de nos sociétés thermo-industrielles ». D’où l’impréparation de nos sociétés aux nouveaux chocs auxquels elles se confrontent aujourd’hui. Nous continuons à raisonner avec des catégories et des notions de la fin du xixe siècle, telles que la compétition et la concurrence. Et le psychanalyste de s’interroger  : « Quand allons-nous enfin créer de nouvelles manières de penser le monde par une appropriation commune et collective ? »

Il est temps de sortir le hamster de sa roue et de s’inscrire dans une politique qui soit à la fois anticipatrice, mais aussi mue par une vision qui se détache des mécanismes et autres dogmes du passé, qui ne fonctionnent plus et nous embourbent plus qu’ils ne nous portent. Comme le concède également la philosophe Marina Garcés dans les pages de notre dossier : les solutions, elles, sont à notre portée, les êtres humains en ont déjà expérimenté une fructueuse flopée et d’autres ne demandent qu’à être propulsées à une échelle plus globale. Mais il faut cesser d’avoir peur d’affronter le changement, oser, et déployer de nouvelles idéologies et utopies pour réparer ce qui ne fonctionne pas et construire ce qui doit l’être.
Car, finalement, quand avons-nous réellement osé pour la dernière fois ?