En ce début d’année 2021, force est de constater que les perspectives offertes aux habitants de la planète Terre sont sombres. Les institutions internationales héritées de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale semblent incapables de mener le monde ouvert qui est aujourd’hui le nôtre vers des temps meilleurs. L’heure est donc venue de travailler à un projet novateur adapté à la société mondiale telle qu’elle est.
L’observation du monde actuel donne à voir une série de périls plus ou moins imminents. Le plus sensible est certainement celui que notre civilisation fait courir à l’environnement. La hausse des températures qui aura pour conséquence de rendre inhabitables certaines régions du globe, la fonte des glaciers, le réchauffement des océans, la fragilisation des récifs coralliens, la disparition de certaines espèces, la déforestation qui se poursuit à grande échelle, notamment en Amazonie, toutes les modifications d’équilibre dans la nature ouvrent une voie vertigineuse vers l’inconnu. La pandémie en cours par laquelle un virus jusque-là ignoré a fait le tour du monde en quelques mois, n’épargnant aucune région, et faisant actuellement plus de 2 millions de morts, a mis en lumière le lien entre les changements environnementaux et les risques sanitaires. Elle a amené les spécialistes à nous avertir que cette pandémie ne serait sans doute pas un cas isolé.
Un autre péril majeur tient au niveau des armements. Après les longues années de la guerre froide qui avait opposé deux blocs dans un affrontement fondé sur l’équilibre de la terreur, donc sur une course aux armements assumée, une désescalade avait semblé possible en 1989 avec la chute du mur de Berlin. Mais elle a été de courte durée. Des pays qui émargeaient très peu au tableau des plus militarisés, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, se sont engagés dans cette course. Désormais, la Chine court en tête, talonnant les États-Unis. Et les pays ayant développé de fortes industries militaires encouragent les acheteurs. La diplomatie est à présent étroitement associée aux ventes d’armes. La défense des principes, notamment en matière de droits humains, plie devant les intérêts des complexes militaro-industriels.
Des inégalités grandissantes
Les inégalités sont de plus en plus marquées et sécrètent un fort sentiment d’injustice. Longtemps, l’on a mis l’accent sur les inégalités entre pays industrialisés ou développés et pays qui ne parvenaient pas à amorcer leur développement. Si les écarts restent grands entre les États, les inégalités entre individus à l’intérieur d’un même État sont dénoncées de toutes parts. En réalité, ce qui devient plus lisible, c’est l’incompatibilité radicale entre le capitalisme et la démocratie. Le premier engendre les inégalités et les nourrit. Son principe fondé sur la nécessité de satisfaire les exigences des actionnaires en matière de rendement du capital et sur la concurrence entre les entreprises avec absorption des plus faibles par les plus fortes ne peut pas coexister avec le principe démocratique qui a pour ambition le bonheur commun à partir d’une préoccupation de tous. C’est pourquoi, alors que le capitalisme est devenu une loi universelle, tous les États qui prétendent être des démocraties sont secoués par des mouvements populaires, tels qu’on en a vu en France avec les Gilets jaunes, ou ailleurs comme au Chili. Les États entrent donc dans des politiques répressives. Là où la démocratie n’a jamais été qu’un leurre, l’État tente de garder la maîtrise de l’économie au profit d’une oligarchie, ou d’une classe dirigeante, ou de l’armée (Algérie, Chine, Hong Kong, Birmanie). L’on voit dès lors, d’un bout à l’autre de la planète, une fracture de plus en plus prononcée entre chaque État et son peuple. Et les États tentent de combler cette béance en excitant les sentiments nationalistes. La situation créée par ces différents éléments se développe sur un terrain politique marqué, d’une part, par la division du monde en États souverains brandissant le principe de non-ingérence pour n’avoir de compte à rendre à quiconque et, d’autre part, par des institutions internationales faibles et déconsidérées.
La démocratie vidée de sa substance
La souveraineté de l’État, envisagée en tant que principe cardinal du droit international, reste l’obstacle majeur à des perspectives meilleures pour le monde. Les communautés politiques se sont cooptées entre elles pour se reconnaître comme États (laissant certaines d’entre elles à l’écart, comme les Palestiniens, les Sahraouis, etc.) et s’accorder la qualité de souverains comprise comme un pouvoir au-dessus duquel il n’y a rien. Mais la souveraineté est un leurre dans la mesure où le capitalisme international a ôté aux États leur liberté en matière économique et financière, ne leur cédant que le volet dit régalien, c’est-à-dire le pouvoir répressif. Quant au droit international, la souveraineté en fait une rhétorique déclamatoire dans la mesure où toute règle de ce droit ne devient effective au sein d’un État qu’avec la volonté explicite de celui-ci. C’est ainsi que les pactes internationaux sur les droits de l’homme ou les conventions de Genève sur le droit humanitaire en cas de conflit armé sont sans effet pour tous ceux qui souffrent de violations de ces textes et n’ont aucun recours pour les faire appliquer.
L’impuissance des institutions internationales
Les institutions internationales créées après la Seconde Guerre mondiale n’ont pas rempli les fonctions que leurs statuts leur assignaient. Les Nations unies responsables du maintien de la paix et de la sécurité collective ont échoué à assurer celles-ci de manière objective. Dominées par les membres permanents du Conseil de sécurité et par leur division, elles ont surtout servi à protéger les intérêts nationaux de ces cinq États ou de leurs protégés. Cette rupture dans l’égalité entre les États a été fatale à l’institution. Les guerres comme celles qui frappent la Syrie ou le Yémen se déroulent dans l’impuissance assumée de l’ONU.
Les institutions spécialisées créées dans l’orbite des Nations unies et qui devaient favoriser dans divers domaines tout ce qui pouvait conduire à un certain bonheur commun des peuples de la Terre, soit ont été dotées de pouvoirs trop faibles (voir le cas de l’Organisation mondiale de la santé), soit ont été conçues au service du libéralisme économique qui favorise le capitalisme (Fonds monétaire international ou Organisation mondiale du commerce). Il résulte de la situation ainsi décrite que rien n’a permis la naissance du sentiment d’appartenance à l’humanité comme à une communauté politique mondiale. Or les peuples du monde sont désormais inéluctablement ouverts les uns aux autres et sont liés par un destin commun, alors qu’ils n’ont ni les principes de base ni les institutions de nature à les faire vivre ensemble en tant que communauté politique.
Un sentiment d’appartenance à raviver
C’est à cela que nous devons d’urgence remédier. Les périls climatiques et, plus récemment, la crise sanitaire mondiale ont permis aux peuples de prendre conscience du lien qui les unit. Il faut donner à ce sentiment qui émerge un débouché politique et institutionnel. L’ONU ne peut tenir ce rôle. Il lui faudrait une réforme structurelle. Or, la Charte a mis un verrou indépassable en prévoyant que toute réforme devrait être approuvée par l’Assemblée générale aux deux tiers des voix avec celles des cinq membres permanents. Il faut donc aller de l’avant et commencer (avant que la catastrophe ne nous y oblige dans l’urgence) à penser autrement le monde à venir. Cela suppose d’abord de définir des principes mondialement acceptés. Ils devront comprendre sans aucun doute la prééminence du droit international. Mais celui-ci devra être élaboré de manière démocratique par un Parlement mondial qui est à repenser pour représenter non seulement les États, mais les forces démocratiques de la société mondiale. Ce Parlement devra être l’organe principal d’une nouvelle organisation qu’il faut penser comme une Organisation mondiale des peuples (et non des États). Le désarmement devra être l’une des tâches prioritaires de cette organisation. Et la justice internationale doit, pour jouer son rôle pacificateur, être obligatoire pour tous et non soumise au bon vouloir de chacun comme elle l’est actuellement.
Il est impératif que des ateliers de réflexion sur ce que sera cette construction institutionnelle soient organisés partout afin que les citoyens de tous les peuples du monde prennent leur part à cette nouvelle aventure.