Espace de libertés | Avril 2021 (n° 498)

Des droits lourdement atteints par le virus


Dossier

Circuler, manifester, apprendre, aimer, voyager. Tant de libertés se sont refermées sous le flux du vent mauvais de la pandémie. Même la liberté de parole ou celle d’être sceptique semblent avoir pris de sérieux coups dans l’aile. Au nom du combat contre un virus, les autorités ont dégainé, plus ou moins à propos, de nombreux arrêtés ministériels, des textes qui n’ont donc jamais été soumis à un débat public ou encore parlementaire. Un état d’exception que les démocrates n’auraient jamais laissé s’installer en d’autres temps sans hurler.


Est-ce le silence des pantoufles confinées qui prévaut ? Car ce qu’on admet pour réagir instantanément à un péril comparable à une inondation massive ou à un cataclysme géant, on ne devrait pas le voir se perpétuer au-delà de quelques semaines. « Le testing a été un échec, la vaccination pédale, les mesures sont toujours aussi restrictives, et tout ça sans qu’elles aient été discutées au Parlement. C’est un scandale, parce que cette fois, ils avaient le temps de le faire. Sur le fond, je n’ai pas la compétence d’estimer si les mesures sont bonnes ou non, mais sur la forme juridique qu’elles prennent, ce n’est pas admissible. Nous avons besoin d’un vrai débat public », explique Xavier Van Gils, bâtonnier de l’Ordre des avocats francophones et germanophone. Pour qui « la situation ne peut pas être pire ».

Info ou intox ? Pour la Ligue des droits humains, la crise sanitaire n’est que l’arbre qui cache la forêt. « La non-saturation des lits intensifs est devenue sacralisée, l’objectif à atteindre. Mais cela à tout prix ? Nous ne disons évidemment pas qu’il faut laisser filer une situation qui conduirait à des décès par défaut de soins, mais nous ne pouvons que constater, en même temps, qu’en France ou en Belgique, les digues ont sauté face à un État de plus en plus sécuritaire. Où l’on emploie des caméras à tout propos, où l’on veut conserver trente ans des données utiles quelques mois, où les services de police et de renseignement semblent obtenir toutes les latitudes », explique Pierre-Arnaud Perrouty, directeur de la Ligue, qui vient de publier son rapport 2020 de « l’État des droits humains en Belgique ». « Notre crainte essentielle est que ces dérives d’un État sécuritaire survivent à la fin de la crise sanitaire – que chacun appelle de ses vœux. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la gravité de la menace sanitaire, mais de réfléchir à ce que nous sommes prêts à perdre en termes de démocratie au nom de la lutte contre la pandémie. Et de voir comment nous reviendrons ensuite en arrière. »

Un contrôle démocratique amputé

L’expert en droits humains note une communication « particulièrement infantilisante ». On livre quelques chiffres le matin, quelques mesures sorties d’un chapeau, on assène quelques indices aux noms peu compréhensibles et cela doit suffire pour modifier profondément le comportement du citoyen. « Certes, il y a eu des améliorations récemment. Mais c’est sous la pression du citoyen qui, au bout d’un an, se demande combien de temps il va vivre amputé de ses libertés avec des arguments minimaux, voire indigents. Nous constatons notamment que l’on construit de nombreuses bases de données, dont les contours sont peu ou mal justifiés et les balises insuffisantes. Faut-il conserver trente ans la liste de qui est vacciné et qui ne l’est pas, avec une série de données médicales ? C’est pourtant ce que prévoit un arrêté ministériel. Celui-ci récolte une flopée de reproches et de mises en garde de l’autorité de protection des données. Que fait le gouvernement ? Il passe outre. Et ne semble pas inquiet de voir de nombreux postes au sein de cette autorité de protection des données occupés par de hauts fonctionnaires. Une situation tout à fait contraire à la loi européenne. Mais que la Belgique enfreint sans vergogne. Cette situation, qui existait avant la crise, devient critique quand il s’agit de données aussi sensibles que celles de la santé. » D’où l’intérêt de passer au crible la première loi « Covid » enfin déposée par la ministre de l’Intérieur, près d’un an après le début de la crise. « Les droits et les libertés ont également une dimension collective », rappelle Pierre-Arnaud Perrouty. « Ils concernent souvent les rapports entre les individus, ils sont revendiqués le plus souvent au sein de collectifs de citoyens, ils sont et doivent être protégés par des collectifs. Les droits et les libertés n’existent que par l’activité coopérative des êtres humains entre eux. »

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Un accès aux sources d’informations limité

Et cette vigilance ne peut s’exercer sans un troisième pouvoir solide, voire brillant. Or la presse d’opinion est quasi morte, les grands journaux licencient, la pagination s’étiole, les pages de foot enterrent celles consacrées au débat (et les débats relèvent davantage de la juxtaposition d’opinions différentes que de l’analyse critique, NDLR). « Le plus inquiétant, c’est de constater une dégradation constante non seulement dans des pays “à risque” de respect de la démocratie, mais aussi dans de nombreux pays occidentaux », note Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes. « Et ces dommages se sont aggravés lors de cette crise. Des torts extraordinaires ont été infligés à la pratique d’un journalisme libre et indépendant par le biais d’actions des autorités de l’État qui ont imposé des risques et des interférences supplémentaires aux médias pendant la pandémie de Covid-19. Les gouvernements de toute l’Europe ont adopté des lois et des règlements d’urgence, qui ont imposé des restrictions extraordinaires aux activités des journalistes, notamment au moyen de lois et de règlements nouveaux ou renforcés liés à l’ordre public et à la diffusion d’“informations fausses ou trompeuses”. Par conséquent, les journalistes risquent des sanctions pénales, y compris de longues peines d’emprisonnement, en raison de leurs enquêtes. Des limitations arbitraires ont effectivement été imposées aux droits fondamentaux des personnes à travers l’Europe de bénéficier d’un accès libre et gratuit à des informations non censurées et provenant de diverses sources. »

Au total, 201 alertes à la liberté des médias ont été publiées sur la plateforme mise en place par le Conseil de l’Europe – près de 40  % de plus qu’en 2019. Faits exotiques dans des pays lointains ? La Belgique a connu six de ces alertes. Et l’État belge n’a répondu à aucune demande d’éclaircissement, contrairement à ses engagements formels. Faites ce que je dis…