Espace de libertés | Avril 2021 (n° 498)

La Sécurité sociale, un besoin vital


Dossier

La crise sanitaire et la crise socio-économique qui s’ensuit réinterrogent l’idéal d’un État providence qui assurerait la sécurité et l’égalité des droits sociaux. Pourtant, l’État n’a jamais autant que ces derniers mois été sollicité pour apporter son support aux plus précaires. Qu’attendons-nous véritablement de l’État ? Quelle est la vision de la Sécurité sociale qui découle de cette pandémie ?


En 2012, Solidaris lançait son Thermomètre, un programme d’enquêtes qui entendait aborder en profondeur et sans tabou les problématiques sociales et politiques qui constituent aujourd’hui des enjeux majeurs puisque déterminant le bien-être des individus. Ainsi, en septembre de l’an dernier, Solidaris remettait une nouvelle fois l’ouvrage sur le métier avec l’objectif de comprendre les rapports que nos concitoyens entretiennent avec la Sécurité sociale et, plus largement, avec la solidarité et avec la protection sociale. Car la question centrale est bien celle-là  : à l’heure de la pandémie, la Sécurité sociale est-elle encore le socle de la solidarité qui intègre et engage tout le monde dans un destin collectif vers une société plus juste ? En sondant près de mille Belges francophones, le Thermomètre de Solidaris a voulu répondre à cette interrogation.

Un besoin accru de protection

La pandémie de Covid a rendu plus visible ce qui est habituellement caché. Elle a touché davantage ceux et celles qui sont déjà les plus fragiles. Elle a éclairé de façon crue les inégalités béantes et les situations insupportables de notre société. Elle a montré aussi certains gestes de solidarité spontanés dont on peut se demander s’ils persisteront lorsque la pandémie se calmera. Elle a mis en évidence que sans les « derniers de cordée » si mal considérés, la société ne fonctionne simplement plus du tout. Elle a mis surtout les États en situation de devoir engager des budgets très importants pour sauver des vies à défaut d’avoir maintenu depuis des années des dépenses de santé publique en ligne avec les besoins. Et donc la société est bel et bien plongée dans un abîme de perplexité concernant son avenir, avec des peurs qui s’expriment, des incertitudes qui dominent, des anxiétés diverses et profondes qui apparaissent et une crise sociale qui s’annonce.

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Logiquement, la tentation de se préserver encore davantage devient un impératif vraiment majeur pour chacun. Protection sanitaire, mais aussi sociale, financière, affective, émotionnelle, culturelle, identitaire. Dans ce contexte, il importe sans aucun doute de réhabiliter la notion d’État comme vecteur de l’intérêt général et comme porteur d’une stratégie à long terme des enjeux collectifs. La crise de la Covid a bien illustré ce qu’il en coûtait de ne pas le doter des moyens de son action. Il faut donc urgemment promouvoir l’idée d’un État juste, car le sentiment de beaucoup de citoyens – et ce Thermomètre le prouve – n’est pas qu’il y a trop d’État, mais que celui-ci est injuste à l’égard de certaines catégories, qu’il ne lutte pas contre les inégalités et les discriminations.

Pour un État plus préventif que curatif

Partant de ce constat, deux notions importent plus que tout. La première porte justement sur la Sécurité sociale. Il ne suffit pas de la définir comme un système d’assistance aux plus démunis, ni même comme un système assuranciel accessible à ceux et à celles qui y cotisent. C’est un mécanisme de protection universelle qui doit bel et bien couvrir l’ensemble des citoyens. C’est l’institution d’une citoyenneté sociale où chacun cotise en fonction de ses moyens afin que tous puissent en bénéficier en fonction de leurs besoins. Pilier fondamental de notre société, la Sécurité sociale n’est pas impayable comme certains l’affirment. Il existe aujourd’hui un problème d’affectation de moyens. La richesse publique a été asséchée, mais la richesse privée a crû en raison d’une fiscalité déséquilibrée. Sans doute faut-il aller désormais vers un modèle plus juste et le plus redistributif possible.

L’autre précision porte sur le rôle des services publics. Ce sont des services organisés et opérés par l’État au bénéfice de l’ensemble de la population, services dont on considère qu’ils ne doivent pas être mis en concurrence sur le marché. C’est une définition très large pour dire qu’un service public gère des « communs »  : la santé, les transports, l’énergie, mais aussi l’enseignement, la recherche ainsi que la culture. Les deux enjeux fondamentaux pour les services publics aujourd’hui, c’est d’une part leur assurer un financement adéquat et, d’autre part, faire preuve de courage politique pour les défendre…

Dans ce contexte, nul ne trouvera à contester le fait que nous sommes à la fin d’un cycle historique qu’on appelle le néolibéralisme. Or toute fin de cycle, tout moment de bifurcation possède deux caractéristiques. Il y a d’abord la violence, car les dominants font tout pour maintenir leur pouvoir et leurs privilèges. Il y a ensuite le fait que le paradigme ancien perdure tant que nous n’avons pas imaginé le nouveau. Nous nous trouvons cependant dans cette configuration. Le modèle néolibéral est à bout de souffle, mais il demeurera tant qu’aucune option solide, « une autre voie » n’aura pas émergé  : celle d’un monde durable et solidaire, synonyme de remise en question de nos modes de vie, de consommation et de production, mais également de renaissance et de refondation de la démocratie.

Pistes jetées pour une nouvelle voie

Cette dernière passe forcément par un nouveau pacte social, mais aussi par de la conflictualité. Pour y aboutir, il convient à présent de procéder par étapes. Il est d’abord nécessaire de penser la société en liant étroitement questions sociales, environnementales et démocratiques, et ce, dans une perspective de long terme, dont la politique n’a plus coutume. Ensuite, il faut construire un nouveau rapport de forces avec le patronat en empruntant un chemin qui allie un vrai travail de réflexion et une plus grande radicalité. Enfin, il importe de mener un travail d’éducation permanente et d’éducation politique pour permettre aux citoyens de comprendre les enjeux de notre époque et de s’en emparer dans la perspective de la constitution d’un front social, écologique et démocratique pour réinventer l’avenir.

La pandémie de Covid et la crise qu’elle a engendrée marquent le passage d’un monde caractérisé par une certaine insouciance à un monde de l’incertitude. Le dernier Thermomètre de Solidaris a clairement indiqué que la voie des remises en question collectives est non seulement ouverte, mais également vitale pour notre société. La soif de rentabilité et de profits a démontré ses limites. Le moment de changer de cap est venu. Le moment d’un État régulateur, protecteur et arbitre avec le plus haut sens de l’intérêt général d’une part, plus préventif et agissant le plus en amont possible d’autre part, en capacité forte de gérer les grandes crises (financières, sociales, sanitaires, environnementales, migratoires…) est enfin arrivé. La feuille de route est porteuse d’espoir pour un monde d’après qui fasse davantage rimer liberté, égalité et dignité afin de faire aventure humaine et solidaire commune.