Depuis 1995, les cours de « religions pour tous » regroupent les enfants de toutes confessions à Hambourg, en Allemagne. D’abord uniquement dispensés par des protestants, cela fait maintenant quatre ans qu’ils peuvent être donnés par des enseignants musulmans, alévis ou juifs. Les catholiques, eux, sont volontairement restés à quai.
Comment organiser les cours de religions à l’école lorsque la société devient multiconfessionnelle ? La ville de Hambourg s’est posé la question il y a près de vingt-cinq ans déjà. Pour répondre au défi posé, elle a mis place un cours commun pour les élèves qui choisissent de suivre un enseignement religieux. « La pluralité était devenue tellement forte que le modèle d’un cours de religion classique – c’est-à-dire uniquement protestant à Hambourg – n’était plus adapté à la réalité de notre société », explique Hinnerk Wissmann, professeur de droit constitutionnel des religions à l’Université de Münster (WWU). Jusque dans les années 1980, Hambourg avait encore une grande majorité d’enfants issues de familles protestantes. Aujourd’hui, la ville hanséatique compte, dans ses écoles primaires, plus de 50 % d’élèves issus de l’immigration.
À Hambourg, le cours de religion est multiconfessionnel. La diversité est considérée comme une normalité et comme un enrichissement. © Mychele Daniau/AFP
Ces cours de « religions pour tous » qui étaient, jusqu’en 2015, sous la tutelle de la Nordkirche, l’Église protestante pour les régions d’Hambourg, de Schleswig-Holstein et de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, sont désormais accessibles aux enfants de toutes les religions, qu’ils soient musulmans, alevis, juifs, bouddhistes, hindous ou bahaïs. « Nous ne cherchons pas à créer une unité religieuse, ni à présenter les religions de manière neutre. Il s’agit d’instaurer un dialogue qui permette de considérer les différences et la diversité comme une normalité et comme un enrichissement », explique Jochen Bauer, le chargé des questions de religion au ministère de l’Éducation de Hambourg.
Dialogue interreligieux en classe
Cette solution d’un cours de religions ouvert à toutes les confessions est aussi une réponse simplement pratique à la diversité religieuse qui caractérise nos sociétés plurielles. Ainsi, Hambourg n’a besoin que d’un seul professeur par école pour satisfaire tout le monde, tandis que la Hesse (région de Francfort) doit aligner jusqu’à… treize professeurs différents.
Rassembler plutôt que séparer
« Il est essentiel, dans une ville comme la nôtre où tout le monde cohabite, que les jeunes ne soient pas séparés en petits groupes mais qu’ils apprennent à vivre avec les différences des autres », insiste Ties Rabe, le ministre de l’Éducation social-démocrate (SPD) de Hambourg. « Pour cette raison, ce modèle a été accepté par la population. Il n’y a pas eu de protestation significative », confirme Hinnerk Wissmann.
Depuis 2015, la ville hanséatique a décidé de développer son modèle en autorisant les enseignants d’autres confessions à dispenser ces cours. Jusqu’à présent, les professeurs de religion étaient tous protestants. Hambourg a signé un contrat avec trois fédérations musulmanes pour permettre un dialogue avec l’administration. « L’islam n’est pas organisé comme la religion chrétienne. Il est beaucoup plus diversifié. Avec ce contrat, les fédérations se sont engagées à parler d’une seule voix. Cela exige de leur part beaucoup d’efforts de concertation interne et cela a parfaitement fonctionné », assure Jochen Bauer. « Nous avons trouvé des interlocuteurs qui nous permettent aussi de combattre le salafisme et les extrémismes », ajoute Christoph Krupp, chef de la chancellerie.
Les professeurs sont formés par l’Académie des religions du monde (Akademie der Weltreligionen), à l’Université de Hambourg. « Cette année, quinze nouveaux musulmans, cinq alévis et un juif seront capables d’enseigner la religion à tous les enfants dans les écoles de Hambourg », se félicite Jochen Bauer.
La confiance pour maître-mot
« Si le modèle de Hambourg fonctionne très bien, il reste bien sûr controversé », rappelle Hinnerk Wissmann. Certains théologiens, enseignants et représentants des communautés religieuses craignent que les élèves ne s’imprègnent pas assez de leur propre religion. Par ailleurs, les parents d’élèves chrétiens ou juifs sont susceptibles de ne pas accepter que leurs enfants soient instruits par des musulmans, et inversement. « C’est un tort car les enseignants musulmans connaissent parfaitement l’Ancien et le Nouveau Testament. Il s’agit d’un vrai cours de religion, pas d’un cours d’éveil sur les religions », rappelle l’islamologue Diaa Eldin Hassanein, professeur à l’université d’Osnabrück qui a écrit sa thèse de doctorat sur ce « modèle de Hambourg », selon une approche empirique. « Ils peuvent parfaitement expliquer aux élèves le rôle de Jésus dans le Coran. L’important est de rester neutre. Le fondement de ce modèle est la confiance des élèves qui se construit sur le dialogue. Sinon, le projet est voué à l’échec », ajoute-t-il.
« Nous n’avons pas constaté de craintes ou de peurs », assure Jochen Bauer. « La raison est que les différents acteurs de ce projet se connaissent. La prof de religion est souvent la maîtresse principale ou quelqu’un qui enseigne d’autres matières aux élèves. Tout est souvent une question de confiance », dit-il. L’arrivée d’enseignants de confession musulmane a permis par ailleurs de renforcer la confiance des élèves musulmans qui restaient sceptiques sur un enseignement de l’islam dispensé exclusivement par des protestants.
Avec un taux de désinscription pratiquement nul (0,1 %), ce cours de religion est un succès. Même l’extrême droite allemande, présente au Parlement depuis 2015, n’a pas remis fondamentalement en cause le modèle hambourgeois. L’AfD (Alternative pour l’Allemagne) a réclamé la résiliation du contrat signé entre la ville et les organisations musulmanes en 2012 mais n’a encore jamais fait campagne sur ce thème. « À part l’AfD, tous les partis y sont favorables », assure Jochen Bauer.
Les catholiques à quai
En revanche, les catholiques n’ont pas souhaité participer à cette expérience interreligieuse et interculturelle unique en Allemagne. L’évêché de Hambourg estime qu’on ne peut pas transmettre les croyances religieuses aux enfants avec des enseignants non catholiques. Elle a abandonné l’éventualité d’une participation au cours de religions en commun lorsque le Sénat de Hambourg a signé un contrat avec les associations musulmanes. À contrario, la communauté juive a décidé de rejoindre l’expérience en 2014.
Même l’extrême droite allemande, présente au Parlement depuis 2015, n’a pas remis fondamentalement en cause le modèle hambourgeois.
Depuis lors, l’évêché a repris le chemin du dialogue en voyant que même les parents catholiques envoyaient leurs enfants au cours de religion pour tous. « Ils observent notre modèle avec intérêt croissant », assure Jochen Bauer. « En refusant les cours en commun, une partie de l’Église se fait le complice de l’établissement d’un islam politique », estime l’écrivain et psychologue Ahmad Mansour, qui pense que le principe des cours de religions distinctifs selon les confessions est rétrograde.
Enjeux politiques
Alors que l’enseignement dans les classes se déroule sans problème, le débat reste animé au niveau politique. La plus grande organisation musulmane d’Allemagne, Ditib (Union turco-islamique pour les affaires religieuses), a également signé le contrat avec Hambourg. Mais elle est toujours sous l’influence des autorités religieuses turques qui envoient elles-mêmes leurs imams en Allemagne. « Lorsque le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a essayé d’utiliser Ditib à Hambourg à des fins politiques, nous avons sorti le carton jaune. Heureusement, l’aile libérale de l’organisation s’est imposée », explique Jochen Bauer. « Les influences venues de l’extérieur existent dans toutes les religions. Si l’on interdisait cette organisation, cela remettrait en cause le lien des catholiques avec le Vatican », rappelle Hinnerk Wissmann.
Un modèle pour les autres « Länder » ?
« J’enseigne l’islam dans une église catholique à Osnabrück. Au départ, les parents y étaient opposés. Aujourd’hui, les enfants catholiques, musulmans et juifs ont des projets en commun », constate l’islamologue Diaa Eldin Hassanein. Pour ce qui est du cours de « religion pour tous », « l’important est que l’initiative vienne de la société, comme ce fut le cas à Hambourg, et que cela ne soit pas imposé par le haut. Sinon, c’est l’échec assuré ». Le modèle intéresse évidemment d’autres grandes villes d’Allemagne qui vivent la même évolution sociale et religieuse. « Mais il faudra beaucoup de temps pour que d’autres régions s’y mettent. C’est un travail de très longue haleine. »