Espace de libertés | Septembre 2014 (n° 431)

Europe: le conservatisme tenace des éthiques


International

Le 25 mai dernier, populistes, eurosceptiques et autres ultraconservateurs ont renforcé leurs positions au Parlement européen. Question : quelle sera leur capacité d’action dans les dossiers bioéthiques ? Le danger n’est peut-être pas là où on l’attend.


Le nombre d’eurodéputés qui appartiennent à des partis populistes, ultraconservateurs, voire carrément d’extrême droite, s’est considérablement accru à la faveur des élections européennes du 25 mai. À vue de nez, un bon cinquième de l’hémicycle est désormais composé d’éléments hostiles à l’Europe, et par conséquent susceptible d’ébranler ses bases « laïques » déjà fragiles. Ces eurodéputés représenteraient un danger? Voire.

Si les questions éthiques semblent marginales en regard des nouveaux défis socio-économiques, elles sont en revanche porteuses d’une symbolique extrêmement forte.

La réalité est plus complexe

D’abord, parce qu’il ne faut pas exagérer la capacité d’action acquise par les ennemis de l’idée européenne dans les travées de Strasbourg, explique le politologue français Jean-Yves Camus, spécialiste des populismes et des extrêmes droites européens : « On vient de voir avec la nomination de Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission, que ces députés restent malgré tout dénués de capacité à influer sur les grandes décisions. Comme d’habitude, au Parlement européen, c’est la règle du consensus qui prévaut. Et les dernières élections ont montré que les trois principaux groupes (les conservateurs, les socialistes et les libéraux) gardent une majorité confortable. »

Réalité complexe encore, parce que les partis catégorisés d’extrême droite ne se mêlent pas nécessairement d’éthique et que les néopopulistes européens ne sont pas particulièrement arc-boutés sur une vision conservatrice de la société. Pour preuve, les Néerlandais Pim Fortuyn et Geert Wilders ont toujours soutenu la cause gay.

Alliances éthiques

En revanche, s’agissant de bioéthique, les Verts –qui sont le plus souvent de fervents soutiens de l’UE– ont depuis longtemps déjà montré les limites. Les Grün allemands se sont ainsi mobilisés contre les travaux sur la cellule-souche, la controverse émergeant même quelque peu chez leurs homologues français. En matière génétique, certains Verts se transforment en chiens de garde face aux progrès de la science qu’ils craignent de voir déboucher sur une idéologie du clone, une manipulation de l’espèce humaine : « Il y a chez eux le souci d’une écologie humaine et pas seulement d’une écologie de la nature. Moi, j’ai un peu peur des deux, confie Jean-Yves Camus: des excès des travaux scientifiques sur la génétique comme de cette vision de l’écologie qui voudrait que l’espèce humaine vive selon les mêmes lois, darwinisme compris, que la nature. Il y a là la vision d’un paradis perdu, mais aussi d’un struggle for live. »

Au bout du compte, le danger pour une société progressiste en matière bioéthique ne viendrait pas des extrêmes droites ou des ultraconservateurs. Mais plutôt de l’alliance de ses détracteurs, tous bords confondus. On assiste ainsi à l’intérieur de l’Europe communautaire à la naissance de regroupements qui, précisément, se sont faits autour des questions de morale et de bioéthique. Regroupements qui se sont parfois transformés en partis politiques transnationaux. Comme le Mouvement politique chrétien européen (ECPM) qui réunit des formations issues d’une quinzaine de pays, dont certaines sont représentées à Strasbourg. On peut citer aussi les Slovaques du nouveau Parti des gens ordinaires et personnalités indépendantes (OL’aNO), les représentants des partis protestants néerlandais et d’autres comme le Familien Partei Deutschlands qui lutte pour la défense de la famille et qui a obtenu, grâce au vote à la proportionnelle, un siège au Parlement européen.

Dégâts de la Marine

De là à imaginer Marine Le Pen (le Front national dispose de 23 sièges au PE) faire alliance avec de tels partis pour faire bloc contre la présence de l’islam dans nos sociétés, il y a un pas à ne pas franchir. «Les matrices idéologiques de ces partis sont totalement différentes, analyse Jean-Yves Camus. L’électorat du front national, comme celui du Vlaams Belang, est étranger à la pratique religieuse. Il n’y a pas de corrélation entre le degré de pratique religieuse et l’engagement. Je ne vois pas comment Bastiaan Belder du Staatkundig Gereformeerde Partij (SGP, un parti néerlandais fondamentaliste chrétien protestant) et Marine Le Pen pourraient se retrouver d’accord sur quoi que ce soit. A priori, il s’agit de deux mondes totalement différents».

Il reste qu’une Marine Le Pen renforcée va utiliser plus encore le Parlement européen comme caisse de résonance pour donner de la publicité à l’anti-islamisme qui constitue son fonds de commerce. Mais davantage qu’à la pasionaria du FN, c’est bien aux partis conservateurs classiques qu’il faut s’intéresser dès que l’on aborde les questions d’éthique, de valeurs, d’emprise du religieux sur la société. Le Parti populaire espagnol (PP), par exemple, émet des thèses extrêmement conservatrices dès lors qu’il s’agit de droits des homosexuels ou de l’avortement. Idem pour le PIS (parti Droit et Justice) en Pologne –qui pourrait remporter les législatives en 2015. Soit autant de partis qui disposent de l’appui important de l’Église catholique et de l’Opus Dei.

Une chose est sûre: si les questions éthiques semblent marginales en regard des nouveaux défis socio-économiques, elles sont en revanche porteuses d’une symbolique extrêmement forte… «J’ai été frappé en france par l’ampleur des manifestations tournant autour du Mariage pour tous, qui étaient incontestablement les plus importantes que l’Hexagone ait connues depuis le milieu des années 80, lorsque des centaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour contester une loi qui modifiait le statut des écoles libres, conclut Camus. À droite, depuis une trentaine d’années, les plus grandes mobilisations ont été celles motivées par la défense de l’école catholique et par la protestation contre le mariage des homosexuels. Avec, en sus, une partie de la hiérarchie catholique qui n’a pas hésité à s’exprimer, voire à participer aux manifestations les plus calmes et les plus dignes. Quant à la question de l’euthanasie, sans préjuger de ce que sera la révision de la loi Leonetti qui n’en est qu’au début, il y aura encore matière à controverse sans aller nécessairement jusqu’à la mobilisation contre le mariage pour tous. »