Espace de libertés | Septembre 2014 (n° 431)

Déployée depuis quelques mois à la Cité Miroir à Liège, l’exposition permanente des Territoires de la Mémoire a subi une cure de jouvence et accueille à nouveau les groupes scolaires, à coups de 800 visiteurs hebdomadaires, depuis la rentrée. Le «parcours dans les camps nazis pour résister aujourd’hui» ainsi revisité jette des ponts entre le passé, le présent et l’avenir.


Résistances… Le ton est donné dès l’entrée dans l’espace des Indignés : une superbe fresque colorée qui rappelle en lettres peintes les petites et grandes figures de la désobéissance civile et qui se termine par un interpellant « Et toi ? ». « Quand ils sont venus m’arrêter, il n’y avait plus personne pour s’inquiéter » ; le parcours commence avec les mots de Berthold Brecht inspirés de ceux de Martin Niemöller, rescapé de Dachau, et déclamés par Pierre Arditi, dont la voix nous accompagnera pendant toute la visite. Livrés à nous-mêmes, nous nous laissons guider par le son et la lumière dans les méandres de la Cité Miroir, de l’entre-deux-guerres à aujourd’hui, d’un couloir bardé d’étendards nazis à un véritable wagon à bestiaux, en passant par la reconstitution d’un bureau de la Gestapo.

La scénographie a été entièrement revue. Après les témoignages audios et les pièces reconstituées, essence de la première expo, c’est aujourd’hui le mon- tage vidéo –«plus puissant que les objets inanimés », confiera Olivier à l’issue de sa visite du nouveau parcours– qui prédomine : extraits d’archives photographiques et de films d’époque, dessins et sculptures pour montrer l’indicible sans pour autant édulcorer la réalité des camps de concentration, témoignages de survivants et de résistants… « remuant et percutant! », poursuit Benoît. La charge émotionnelle est très forte.

« La grande nouveauté, c’est la salle de debriefing consacrée au présent avec une animation et un jeu interactif », explique Julie Scoufflaire, animatrice. Son objectif, permettre aux jeunes –les trois quarts des visiteurs étant constitués de groupes d’élèves âgés de 11 à 18 ans– de mettre des mots sur ce qu’ils viennent de voir et de poser toutes leurs questions. Pas encore terminé lors de notre visite en mai dernier, le jeu, sous la forme d’un quizz à choix multiples, servira à déterminer les tendances du groupe avant de revenir au thème de la résistance aujourd’hui.

Nous sortons de là un peu sonnés et fourbus, sans pouvoir nous empêcher de penser à toutes celles et à tous ceux qui ont tenu debout non pas une heure mais des jours durant, dans ces wagons à bestiaux… et après, dans les camps. On se répète, comme un exutoire : « Plus jamais ça ! » Mais combien de guerres civiles, de conflits ethniques et religieux, depuis, n’ont-ils pas eu pour terreau la haine et la déshumanisation de l’Autre jusqu’à son extermination ?

Au-delà de l’injonction

« Plus jamais ça ? », c’est aussi et surtout une question qui nous renvoie à la fragilité de nos acquis et qui nous rappelle à la vigilance et à l’urgence d’une résistance renouvelée. « Les Territoires de la Mémoire sont d’ailleurs nés des suites de ce dimanche noir de novembre 1991», nous rappelle Philippe Marchal, directeur adjoint, quand des partis d’extrême droite ont fait leur apparition dans le paysage politique belge, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la chute du nazisme. Depuis 1993, l’association liégeoise n’a cessé de multiplier les voies de sensibilisation au devoir de mémoire auprès d’un large public, avec notamment une première exposition permanente, visitée par près de 200.000 personnes dans les anciens locaux du boulevard d’Avroy.

Au fil de ce nouveau parcours symbolique, «il s’agit de montrer la permanence de certains mécanismes, car là où les faits historiques sont le fruit de contextes, de circonstances, de liens de causes à effets toujours inédits, uniques et singuliers, le travail pédagogique de comparaison peut en revanche se développer sur le plan des attitudes, des comportements propres à l’être humain, à nous-mêmes, et donc être récurrent. C’est au travers, par exemple, de l’analyse de l’effet de masse, de la soumission à l’autorité, de la contrainte acceptée, de l’attentisme, de l’appartenance à un groupe, etc. que l’on peut être en mesure d’établir des connexions, aider à la représentation et à la compréhension.» Il est là, le pari relancé par les Territoires de la Mémoire, « pour finalement éveiller à la résistance et à la possibilité de s’engager pour agir ».