Première personne à avoir reçu l’asile en Grèce en tant qu’athée, le militant irakien Karrar Hamza Al Asfoor a dû fuir son pays sous les menaces islamistes. Derrière cette histoire, un constat : Facebook est une arme à double tranchant. Et une question cruciale : comment « prouver » son athéisme sans la mémoire du web ?
Comment êtes-vous devenu athée ?
Quand j’avais quatre ans, ma mère m’a raconté le périple du prophète Mahomet à travers l’univers sur un cheval ailé et j’ai ri face à l’absurdité du récit. Ma mère a eu peur : elle craignait la punition de Dieu pour ce manque de respect. Cela m’a fait très peur et j’ai commencé à pleurer. À cet âge déjà, j’avais compris que la religion était taboue et qu’il y avait des limites à ne pas dépasser, même si de nombreuses questions restaient sans réponses. Par exemple, pourquoi mon entourage était-il si sûr que le chemin vers le paradis était celui prescrit par l’Islam, alors qu’entre-temps, il y avait tant d’autres religions ? Ces personnes s’étaient-elles trompées ? Ne pensaient-elles pas la même chose de nous ? J’ai grandi dans une famille religieuse mais je ne pratiquais pas vraiment l’islam. En 2015, je suis tombé sur une page Facebook qui critiquait la religion. Tout de suite, les questions de mon enfance sont revenues. J’ai commencé à examiner l’islam de manière critique, je suis devenu agnostique puis j’ai complètement abandonné la foi.
Blogeur, athée et esprit critique aiguisé : le cocktail type pour mettre sa vie en danger en Irak ! © Alessandro Annunziato/NurPhoto
Quel a été l’impact sur votre vie sociale ?
La société irakienne est très patriarcale, religieuse et tribale. Vivre dans une telle société est épuisant, mais pour un non-croyant, c’est un cauchemar total. J’ai perdu ma vie sociale. J’ai passé le plus clair de mon temps dans ma chambre, seul, devant l’ordinateur. J’ai construit mon propre monde virtuel. J’ai ri, j’ai pleuré et je me suis fait des amis sur les réseaux sociaux. La plupart d’entre eux avaient de fausses identités parce qu’être ouvertement athée dans une société musulmane, c’est risquer la mort. Pour ma part, je ne pouvais pas rester dans l’ombre. J’ai décidé d’être actif avec ma vraie identité. J’ai participé à plusieurs débats dans différents groupes Facebook. Je voulais contribuer à changer la société. Je suis devenu administrateur de quatre groupes. Certains publics, d’autres non. L’un des plus importants s’appelait « Le monde du féminisme et de l’athéisme ». Il comptait près de 100 000 membres.
Comment cela fonctionne-t-il dans la pratique ?
Lorsque vous grandissez dans la société irakienne, il n’y a aucune place pour les questions ou les doutes. La religion vous entoure. Elle est partout. Perdre la foi est difficile et effrayant. Nous essayons d’attirer des gens dans ces groupes, d’engager des débats et d’essayer de les convertir à l’athéisme. L’idée est d’essayer d’ouvrir les yeux d’un maximum de personnes afin qu’un jour nous puissions arriver à un État laïque. Bien sûr, ce n’est pas facile. Nous nous faisons souvent insulter. Dans ces cas, nous essayons la thérapie de choc : on blasphème puis on montre que rien ne se passe. La vengeance de Dieu ne vient pas…
De nombreux athées sont persécutés. Mais on n’en parle pas à cause de la honte sociale pour la famille.
Vous travaillez également sur les droits des femmes ?
La situation des femmes est horrible. Elles ont très peu de droits et de protection. Leurs pensées, leurs modes de vie, le choix de leurs vêtements ne leur appartiennent pas. Beaucoup passent toute leur vie entre quatre murs. Elles sont soumises à la violence, au viol et à des crimes d’honneur. Le pire, c’est que la plupart du temps, en cas de violence il n’y a pas d’enquête criminelle ou médiatique, car le respect de l’honneur de la famille prime sous le régime tribal et religieux. La famille ne doit pas souffrir de honte publique. Ainsi, avec d’autres militants nous essayons d’aider autant de femmes que possible. Mais tout ce que nous parvenons à faire, c’est de la sensibilisation, car la situation dépasse totalement nos ressources.
Et puis, les menaces sont arrivées…
Au début, je ne les ai pas prises au sérieux, mais lorsque dans mon club de fitness trois hommes sont venus me menacer de mort, j’ai eu peur. L’un d’eux m’a averti : « Nous savons ce que tu fais sur Facebook. Supprime tes groupes et garde ton athéisme pour toi ou on va te couper en morceaux et te jeter aux chiens. » De nombreux athées sont persécutés. Certains d’entre eux sont chassés de chez eux, d’autres sont battus ou emprisonnés et d’autres encore sont tués. Mais on n’en parle pas à cause de la honte sociale pour la famille. Suite à cet incident, je suis rentré à la maison, j’avais extrêmement peur. Je n’ai pas dormi cette nuit-là car j’ai réalisé à quel point ma situation était injuste. Personne ne pouvait m’aider : même les autorités faisaient partie du système. Il n’y a pas d’État de droit dans mon pays. Tout est régi par des tribus et des milices islamiques. J’ai décidé de fuir.
Comment ça s’est passé ?
Je suis d’abord allé en Turquie, puis j’ai pris un bateau pour la Grèce. C’était une expérience terrible. Mais j’étais optimiste car je savais que je me dirigeais vers un pays de liberté où je pourrai dire ce que je veux sans être en danger. La procédure d’asile a été très complexe, mais j’ai reçu l’aide de nombreuses organisations dont la Fédération humaniste européenne. Ce qui m’a vraiment aidé, c’est que j’avais une preuve de mon athéisme grâce à mon activité sur les réseaux sociaux. Pour d’autres, cela est impossible car la plupart des athées en Irak gardent leurs croyances secrètes. Lorsque les autorités demandent des preuves, ils ne peuvent en fournir aucune.
Je dois faire la plupart de mes activités en secret et continuer à me censurer dans mon environnement immédiat, malgré le fait d’être en Europe.
Comment se passe votre vie en Grèce ? Êtes-vous toujours engagé ?
L’intégration est difficile. Je ne reçois que peu de soutien et je n’arrive pas à trouver d’emploi. Le logement, c’est compliqué. Sur l’île de Kos où je suis arrivé, je n’ai pas pu être hébergé dans le camp de réfugiés car il était rempli de musulmans et j’avais peur. Alors, je suis allé à l’hôtel. Maintenant, on me dit que, comme je n’étais pas dans le camp, je ne peux pas m’inscrire pour un logement. Donc, pour le moment, je dépends de l’argent que ma famille m’envoie. Mais ils ne pourront pas me soutenir indéfiniment. Bien que la Grèce soit un pays assez religieux, la situation est incomparable avec le Moyen-Orient. À mon arrivée, l’association Kos Solidarity m’a offert la possibilité de faire un discours devant 80 personnes. C’était la toute première fois de ma vie que je critiquais l’islam en public. Ce fut un sentiment génial. Je ne peux vraiment pas le décrire. Le goût de la liberté est si différent de tout le reste. Après tout, je voulais juste parler, et ils m’ont donné la chance de le faire ! Les gens supposent souvent que je suis musulman. Ils me préviennent que tel ou tel plat contient du porc. Mais quand je leur dis que je suis athée, ils comprennent. En fin de compte, il n’y a pas de différence : musulmans, chrétiens ou athées, nous sommes tous des êtres humains.
Les menaces de mort ont-elles cessé ?
J’en reçois encore. Elles ne viennent pas nécessairement d’Irak mais aussi d’Europe. Mais au moins, je ne suis plus dans le pays. Je vis dans un quartier où il y a beaucoup d’autres réfugiés. Nombreux sont musulmans, donc je dois exercer la plupart de mes activités en secret et continuer à me censurer dans mon environnement immédiat, malgré le fait d’être en Europe. Bien sûr, je continue à être actif sur Internet. Nous sommes toutefois confrontés à un certain nombre de problèmes en ligne. Les islamistes emploient les règles de Facebook à leur avantage : la plupart de nos membres utilisent de fausses identités, ce qui n’est pas permis. Les islamistes signalent nos groupes ou comptes et Facebook les ferme. En outre, ils signalent également que nos propos contiennent des propos haineux ou nudistes, ce qui est absolument faux. Même si parfois – rarement cependant – des groupes sont rétablis, ce harcèlement est extrêmement épuisant. Cela entrave fortement notre activité alors que les islamistes, eux, ont tout : des sociétés de médias aux centaines de chaînes satellites et d’innombrables ressources financières. Nous avons contacté Facebook plusieurs fois dans le passé, mais sans succès. Les plaintes sont traitées régionalement par leur bureau à Dubaï, ce qui peut expliquer le succès de l’argumentation islamiste. Nous sommes une minorité opprimée et jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée, Facebook contribue à cette oppression.