Espace de libertés – Mars 2018

International

L’idée de créer des listes transnationales, défendue par Emmanuel Macron, a fait un « flop ». Généreuse sur le papier, elle posait néanmoins plusieurs questions quant à sa légitimité démocratique et à la responsabilité de l’élu.


Le 7 février dernier, le Parlement européen réuni en plénière à Strasbourg a rejeté par 368 voix contre 274 la création de «listes transnationales» en vue des élections européennes de 2019. Ce vote était particulièrement mis sous les projecteurs, car l’idée de ces listes avait été relancée par le président français, Emmanuel Macron en personne.

Pour avoir la peau de ce projet, le Parti populaire européen (PPE, conservateurs) a dû pactiser avec les eurosceptiques et les europhobes. Stop donc aux listes transnationales qui, dans le principe tout au moins, ambitionnaient de réunir des personnalités capables de transcender les intérêts nationaux pour travailler au destin de l’Europe unie. Une précision: ces listes n’auraient concerné que 27 des 73 sièges laissés vacants par les Britanniques au lendemain du 31 mars 2019. Elles n’auraient donc que très légèrement pesé sur les rapports de force existant au sein du Parlement européen, lequel compte 751 députés.

Alors pourquoi une telle détermination à tuer ces listes transnationales, d’autant que ce n’est pas la première fois qu’elles sont mises sur la table? En 2004, l’idée avait déjà été émise dans une tribune du socialiste Laurent Fabius, publiée par Libération. Peu avant l’élection de 2009, l’eurodéputé libéral-démocrate britannique Andrew Duff (ADLE) s’était aussi engagé à la constitution de ce type de listes. Quant à Daniel Cohn-Bendit, il est celui qui a le mieux «vendu» la formule sur le terrain au cours de certaines campagnes électorales. Son multilinguisme, sa faconde et bien sûr son aura aidèrent beaucoup la cause. Quoi qu’il en soit, le président Macron n’a guère apprécié le camouflet. Il «ne lâche rien». Pour lui, le système électoral européen dans lequel chaque citoyen vote pour un candidat national est bel et bien dépourvu de légitimité démocratique.

Les élections européennes sont jusqu’à preuve du contraire organisées institutionnellement et philosophiquement sur une base… nationale.

Info ou intox? En réalité, ce problème de légitimité est double, souligne François Foret, professeur de sciences politiques à l’ULB: «Le projet de créer des listes transnationales va à l’encontre de la légitimation démocratique via la voie parlementaire, car il déconstruit de facto l’espace national comme espace d’expression de la souveraineté populaire. C’est ce qui explique en bonne partie la réaction des nouveaux États membres qui ont contribué à envoyer le projet d’Emmanuel Macron par le fond.» Pourquoi? Parce les élections européennes sont jusqu’à preuve du contraire organisées institutionnellement et philosophiquement sur une base… nationale.

Chacun son groupe

L’attitude des eurosceptiques qui ont voté contre le projet contient elle aussi sa part de paradoxe, relève François Foret. «Les listes transnationales sont en effet susceptibles de leur profiter essentiellement. Car pour gagner, elles impliquent de présenter un candidat identifiable portant un message identifiable dans différents pays, ce qui peut a priori servir les adversaires de l’Europe.» Autrement dit, ces listes seraient de nature à faire le jeu de populistes doués, dont le discours europhobe plus ou moins facile plairait à Bruxelles comme à Budapest. «Et là, il y a de quoi inquiéter les partisans de l’Europe, réticents à leur tour face au projet d’Emmanuel Macron.»

Il faut ajouter à ce constat les réalités de l’échiquier parlementaire européen: «Pour le PPE et pour les partis établis, la proposition d’Emmanuel Macron remet en question leurs positions dans l’espace national, mais aussi leurs alignements au Parlement européen.» Dans quels groupes siégeraient en effet les députés élus via des listes transnationales?  «À rebours, poursuit François Foret, on peut considérer que Macron pousse cette idée, car il a précisément intérêt à déstabiliser les blocs établis.» Autre écueil: la responsabilité des élus issus des listes transnationales. «Devant qui répondraient-ils de leurs actes puisqu’il n’y a pas de corps politique européen? interroge le politologue de l’ULB. Ces élus ne procéderaient pas d’une circonscription territoriale ou même sociale bien identifiée. Là, entre légitimité et responsabilité, entre ces deux dimensions de la démocratie, il y a bel et bien une tension.»

On peut objecter ici qu’Emmanuel Macron souhaiterait également créer une circonscription européenne unique. Réponse: «Oui, mais c’est postuler qu’il existe un corps européen unique», objecte François Foret. «Or ce n’est pas le cas. Autrement dit, la tension entre responsabilité et légitimité de l’élu ne peut être réduite puisqu’une communauté politique européenne (en termes de temporalité de la campagne, d’agenda, etc.) n’existe pas pour l’heure». Les listes transnationales semblent donc vouées à rester dans les limbes, le débat qui les entoure ayant au moins l’avantage de participer au policy making européen.

People ou pros?

Un échec cuisant? Pour Emmanuel Macron, sans doute. Pour l’Europe, il faut bien admettre que les listes transnationales ne constituent en rien une panacée et peuvent même se révéler piégeuses. François Foret fait ainsi remarquer qu’à la manière des initiatives citoyennes – qui imposent de collecter un million de signatures dans un certain nombre d’États membres – les candidats transnationaux devraient bénéficier d’un réseau exceptionnel et de moyens financiers importants pour espérer faire la nique aux stars des partis établis. D’où le risque de voir se présenter des people chargés d’attirer l’électeur comme autant d’attrape-mouches. «À quoi servirait-il d’avoir un.e Conchita Wurst ou un Cristiano Ronaldo sur une telle liste, alors qu’au cours des deux dernières décennies le Parlement s’est professionnalisé. Il a construit un profil d’élu spécifique, donc spécialisé, qui lui a apporté une respectabilité. Quitte à perdre en audience…»

Alors adieu, listes transnationales? «L’idée – que compte bien défendre à nouveau Emmanuel Macron – ne doit pas être disqualifiée. C’est le principe même de la communication européenne de toujours balancer entre deux logiques dont les limites se touchent. D’un côté, le nation building, le grand récit, les valeurs et le citoyen européens. De l’autre, la démonstration des avantages de l’Europe, de ses projets, etc. Ces deux grands récits sont condamnés à coexister et à alterner. Les listes transnationales resteront donc dans le paysage européen, comme c’est le cas depuis les années 1970», conclut François Foret.