Espace de libertés – Mars 2018

Que cachent les insultes sexuelles?


Des idées et des mots

Historienne et psychanalyste, Sylvie Lausberg décortique les injures spécifiques aux femmes à travers l’histoire. Entretien express.


Toutes des salopes, des garces, des allumeuses et l’on en passe : beaucoup d’injures sexistes remontent au XVIIe siècle. La « puissance sexuelle » des femmes fait-elle toujours peur depuis lors ?

Le XVIIe siècle correspond à une époque où l’on a des sources fiables, voilà pourquoi mon livre démarre de là, mais il s’agit aussi d’un tournant dans l’histoire occidentale où la place des hommes et des femmes est catégorisée. Ce n’était pas le cas au Moyen-Âge où les clivages portaient surtout sur la naissance et la dimension socio-économique. Un nouveau système se met ensuite en place, avec une puissance masculine basée sur le patriarcat et la relégation des femmes hors de l’espace public. C’est donc la puissance des femmes en général qui est mise en cause – même si elle est ramenée à sa dimension sexuelle. Une puissance qui serait maléfique, ce pour quoi les femmes sont ramenées à leur dimension sexuelle, pour délégitimer leur prise de parole ou leur place dans l’espace public.

Outre les insultes sexistes, la représentation de la femme au niveau artistique et dans les médias, souffre encore régulièrement de discrimination.

Je ferais une distinction entre le monde artistique – où la créativité va puiser dans des éléments ambivalents, fantasmatiques ou transgressifs – qui est là pour donner une place à l’imaginaire. C’est différent dans la publicité, où il y a une part de création artistique, mais aussi une injonction « à se conformer ». Ce que l’on retrouve aussi parfois dans les médias où des études montrent qu’il y a une invisibilisation des femmes dans les différents modes de représentations. Nous sommes également loin d’une représentation naturelle.

Certains continuent aussi à enfermer la femme dans le stéréotype de la « maman ou putain », clivage très stigmatisant.

Cela marche sur deux rives : la première, c’est que les femmes, pour être reconnues dans la société, doivent être des mères. Elles jouent leur rôle dans la continuité de l’espèce. Cela s’appuie sur des théories existentialistes ou naturalistes, dans lesquelles il y aurait une forme de complémentarité naturelle. Mais les femmes doivent aussi porter l’enfant de leur compagnon. La femme adultère est beaucoup plus condamnée que l’homme adultère dans le Code pénal du XIXe siècle, parce qu’elle peut introduire dans la lignée un enfant qui n’est pas biologiquement lié à son père. Il est évident que la notion de pulsion sexuelle qui serait exacerbée chez les hommes est reliée à cette dimension patriarcale, présente dans la société. La « puissance sexuelle » est donc valorisée chez les hommes et vilipendée chez les femmes. Ce que montrent les insultes sexuelles, avec des femmes qui seraient hystériques, frénétiques ou nymphomanes. Alors que lorsqu’un homme est insulté, cela porte sur son manque de virilité. La deuxième question c’est : que fait-on avec cela ? Si les femmes ne sont pas des mères, c’est qu’elles sont des putains et cela entraîne toute la dimension liée à la spécificité de l’anatomie féminine, avec l’intrigue du côté caché, mais aussi des menstruations. Et ces dernières sont associées à un côté impur, dans les religions monothéistes, d’où les insultes liées à la saleté, la puanteur, avec le mot « putain ». Tout cela est utilisé de manière non consciente, c’est une répétition de stéréotypes, mais ils viennent nourrir les relations. Même chez les jeunes aujourd’hui, beaucoup estiment qu’une jeune fille qui a pas mal d’aventures ne se respecte pas. Alors que chez les garçons, cela ne prête pas à conséquence.

La loi de 2014 sur le sexisme peut-elle changer les choses ?

C’est une loi qui est fort décriée, mais elle a le mérite d’exister. Rappelons-nous que la loi contre le racisme et l’antisémitisme a également été très décriée lorsqu’elle a été votée et qu’il a fallu une dizaine d’années pour que l’on puisse l’utiliser. Dans le cas présent, la loi précède les mentalités et c’est en cela qu’elle est intéressante. On le voit avec les scandales de l’automne dernier, on fait comme si l’on découvrait que la société était sexiste, alors que cela arrangeait les uns et que celles qui le dénonçait étaient elles-mêmes insultées. Et le mot féminisme constituait aussi une insulte jusqu’il y a peu. La loi qui pénalise les insultes dans l’espace public, puisque c’est cela qu’il s’agit, doit être améliorée, notamment en informant davantage la population sur la façon dont on peut porter plainte. Il faut vraiment argumenter de manière précise pour que le caractère sexiste de l’insulte publique fasse sens. On observe une difficulté à reconnaître que notre société est misogyne et c’est en cela que cette loi marque un tournant. Je donne rendez-vous dans 4 ou 5 ans pour voir quels seront les effets sur la population.