Espace de libertés – Mars 2018

Le reliquat patriarcal du (double) nom


Dossier

Les changements législatifs concernant la transmission du nom de famille, survenus en 2014 après des années de tergiversations, font partie des dernières lois sexistes du royaume. Si la Cour constitutionnelle a condamné cette discrimination en 2016, la nouvelle mouture de la loi demeure imparfaite. Elle ne permet pas d’éviter le poids de la tradition patriarcale et démontre que la justice n’a toujours pas intégré le prisme du genre dans ses grilles d’analyse.


L’état civil constitue l’instrument de prédilection du droit pour définir l’identité d’une personne. Qu’il s’agisse de définir le sexe, d’établir une filiation ou d’attribuer un nom et un prénom, l’état civil peut faire l’objet d’une analyse sous le prisme du genre. Mais malgré un affichage égalitaire présenté au sein du Code civil (1), la norme belge maintient un reliquat d’inégalités dans la transmission du nom de famille. Si la Belgique a souhaité se mettre en conformité avec les réglementations et recommandations internationales, certains points de vigilance soutenus par le mouvement laïque dès 2012 ne sont en effet toujours pas rencontrés à ce jour (2).

Le législateur est passé à côté d’une occasion d’affirmer clairement l’égalité entre les femmes et les hommes.

Petit retour en arrière : dans son arrêt du 14 janvier 2016 (3), la Cour constitutionnelle annulait une disposition de la loi du 8 mai 2014 sur la transmission du nom de famille à l’enfant, qui imposait automatiquement le nom du père en cas de désaccord ou d’absence de choix. Cette disposition instituait de fait un véritable droit de veto du père et donc une discrimination basée sur le genre. Si le nouveau texte de loi adopté le 25 décembre 2016 pallie cette discrimination en se calquant sur le modèle français et en prévoyant qu’en cas de désaccord, l’enfant porte les noms du père ou de la coparente et de la mère accolés par ordre alphabétique, il n’en reste pas moins que le législateur est passé à côté d’une occasion d’affirmer clairement l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que l’égalité entre parents.

Entre pouvoir et tradition

Selon les données du Registre national, sur les 165 561 enfants nés entre le 1er juin 2014 et le 31 décembre 2015 en Belgique, 149 933 enfants ont reçu le nom de famille du père, 6 469 le nom de leur mère, 7 029 le double nom du père et de la mère et 1 138 le double nom de la mère et du père. Dans la pratique, et comme le craignait l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH), à l’origine du recours devant la Cour constitutionnelle, c’est donc encore le nom du père qui est le plus souvent donné à l’enfant, laissant penser que la femme ou le couple cède à la longue tradition qui a prévalu depuis le XIe siècle ou à l’issue d’une relation de pouvoir.

Deux écueils persistent principalement. Premièrement, comme l’a pointé l’IEFH, seul le principe du double nom obligatoire apparaît comme moyen efficace d’assurer dans les faits l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit de la seule règle exempte d’éventuels stéréotypes sexistes et qui permet d’éviter de facto toute pression d’un membre du couple sur l’autre. De plus, cela reflète le principe de dualité et d’égalité entre les parents qui caractérise l’autorité parentale et/ou le lien biologique (4). Et cela permet à l’enfant de s’inscrire dans sa double filiation identitaire dans la sphère publique où le nom fait partie des signes d’appartenance explicites.

Deuxièmement, on peut déplorer l’absence de dispositions transitoires qui auraient plus largement permis aux femmes qui ont été lésées par la disposition annulée de pouvoir changer le nom de leur.s enfant.s, en y ajoutant le leur à celui du père. En effet, les dispositions transitoires de la loi ne permettent de modifier une situation établie sous l’égide de l’ancienne loi qu’à des conditions très limitatives. Ainsi, le nom des enfants mineurs communs nés (5) avant le 1er juin 2014 peut être modifié par une déclaration commune (ou du parent survivant) en cas de naissance d’un enfant commun après le 1er juin 2014 et introduite dans l’année suivant ladite naissance. Et elle a privé les requérantes ayant initié le recours devant la Cour constitutionnelle avec l’IEFH de pouvoir bénéficier de cette modification législative pour laquelle elles se sont battues, vu que leurs enfants étaient nés avant 2014.

Mais surtout, cette exigence de déclaration commune a pour effet de continuer à accorder un droit de veto au père de l’enfant, ce dernier portant dans la plupart des cas le nom de son père.

Inégalité de faits

Si la loi du 8 mai 2014 devait constituer un remède à une inégalité entre les sexes maintes fois épinglée par des instances internationales, pourquoi consacrer cet héritage historique patriarcal pour le passé et faire persister des disparités, tant dans l’intérêt de l’enfant que dans le souci du respect de l’égalité entre femmes et hommes ?

Il convient donc de soutenir l’introduction d’une nouvelle disposition transitoire qui permettrait aux femmes lésées par le droit de veto du père de finalement transmettre leur nom à leur.s enfant.s. À défaut de quoi, la loi, sous couvert d’une égalité formelle, introduit une nouvelle inégalité dans les faits. Cette obligation légale permettrait d’assurer une évolution des mentalités en matière d’égalité des sexes et entre parents de sexes opposés ou du même sexe.

Sortir ce choix de l’arbitraire patriarcal et se conformer au prescrit constitutionnel qui prévoit l’égalité des femmes et des hommes depuis 2002 est un signal fort dans un contexte actuel de menaces qui pèsent sur les droits des femmes. Afin d’en finir avec la relégation de la femme du côté de la nature et inscrire sa place dans l’ordre juridique, tout en permettant à l’enfant de naître dans une symbolique égalitaire.

 


(1) Article 335 du Code civil.
(2) Pour les rétroactes : Julie Papazoglou, « Nom(s) de famille : en finir avec la discrimination », dans Espace de Libertés, n° 454, décembre 2016, pp. 18 à 20 et Sophie Rohonyi, «Oui au double nom?», dans Espace de Libertés, n° 427, mars 2014, pp. 14-15.
(3) Cour constitutionnelle, arrêt 2/2016 du 14 janvier 2016.
(4) Avis du 13 juin 2012 concernant la modification des règles du Code civil sur la transmission du nom l’enfant, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes.
(5) Pour l’ensemble du présent texte, il convient d’étendre les dispositions relatives aux enfants nés et parents d’un enfant né aux enfants adoptés et parents adoptants.