Espace de libertés – Décembre 2016

Nom(s) de famille: en finir avec la discrimination


Libres ensemble
Le 28 octobre 2016, un communiqué de presse du Conseil des ministres fédéral annonçait l’adoption d’un avant-projet de loi modifiant la loi du 8 mai 2014 instaurant l’égalité de l’homme et de la femme dans la transmission du nom de famille à l’enfant (1). Le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) va donc proposer au Parlement un nouveau système d’attribution en cas de désaccord ou d’absence de choix des parents avant 2017.

Poussé par un arrêt de la Cour constitutionnelle (2) annulant une disposition de la loi qui imposait le nom de famille du père à l’enfant en cas de désaccord des parents ou en cas d’absence de choix, le ministre de la Justice a plié en faveur de l’égalité. Le nouveau projet de texte se calque sur le système français et dispose qu’en cas de désaccord, l’enfant portera dorénavant le nom du père et le nom de la mère accolés par ordre alphabétique dans la limite d’un nom pour chacun d’eux. L’avant-projet prévoit également une disposition transitoire valable jusqu’au 1er juillet 2017, pour les enfants nés après le 31 mai 2014. Si nous nous réjouissons de cette rectification apportée à la loi et du choix de l’ordre alphabétique en cas de désaccord, nous déplorons cependant que le ministre n’aille pas plus loin dans les améliorations à apporter à la loi de 2014 en vue d’atteindre l’objectif affiché par celle-ci, à savoir une véritable égalité de traitement entre femme et homme dans la transmission du nom.

Rétroactes et revendications

Jusqu’en 2014, la loi n’autorisait pas une femme mariée ou cohabitante ou un deuxième parent d’un couple homosexuel à donner son nom de famille à son (ses) enfant(s) ni à adjoindre les noms de famille des deux membres du couple. Ce système constituait une véritable discrimination fondée sur le sexe et violait également les réglementations internationales et européennes en vigueur. Le système belge de transmission du nom à l’enfant ne respectait ni le droit international, ni le droit européen. En effet, au niveau des Nations unies, il violait la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ratifi ée en 1985. Au niveau du Conseil de l’Europe, il n’était pas conforme à la résolution (78)37 adoptée le 27 septembre 1978 et aux recommandations de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 1271 du 28 avril 1995 et 1362, du 18 mars 1998. Dès le dépôt de projets et propositions de loi visant à supprimer ces discriminations, le Centre d’Action Laïque (3) ainsi que d’autres associations comme l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (4) ont attiré l’attention du législateur sur plusieurs points de vigilance:

1° L’importance d’une transmission automatique du double nom qui, à l’instar du système espagnol, refléterait mieux la double filiation tout en évitant d’éventuels conflits au sein des familles. En effet, en laissant le libre choix aux parents, le risque subsiste que le nom du père soit le plus souvent donné à l’enfant afin de céder « à la longue tradition qui a prévalu depuis des siècles » ou à l’issue d’une relation de pouvoir.

2° Le danger d’une prévalence du nom du père en cas de désaccord ou d’absence de choix.

3° L’importance d’octroyer aux parents un délai suffisant pour modifier le nom de famille de leur(s) enfant(s) né(s) avant l’entrée en vigueur de la loi.

Premiers pas vers le double nom

En 2014, un projet de loi porté par la ministre de la Justice, Annemie Tuterlboom (Open VLD) fut voté, non sans volte-face et surprises de dernière minute, pour pallier ces inégalités. La solution ayant fait consensus à l’époque permet aujourd’hui aux parents, hétérosexuels ou homosexuels, de choisir de donner à leur enfant soit le nom du père, de la mère ou de la co-mère ou une combinaison des deux noms, dans l’ordre qu’ils souhaitait. Cependant, elle n’a pas totalement rencontré l’objectif initial poursuivi. En effet, en refusant d’opter pour la transmission automatique du double nom et en admettant qu’en cas de de désaccord ou à défaut de choix des parents, le nom du père prévalait « en vertu de la tradition et par la volonté de faire aboutir la réforme de manière progressive », le gouvernement lais sait donc ouverte la possibilité d’une prévalence du nom du père en cas d’accord et un véritable veto de celui-ci en cas de désaccord recréant ainsi tout simplement une nouvelle inégalité, une nouvelle domination au sein du couple.

Arrêt de la Cour constitutionnelle

En janvier 2016, à la suite d’un recours introduit notamment par l’IEFH, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur l’article relatif à la solution en cas de désaccord ou d’absence de choix en annulant purement et simplement celui-ci. Celle-ci a considéré que « ni la tradition, ni la volonté d’avancer progressivement ne peuvent être tenues pour des considérations très fortes justifiant une différence entre les pères et mères lorsqu’il y a désaccord entre parents ou absence de choix alors que l’objectif de la loi est de réaliser l’égalité entre les hommes et les femmes […], que seule une règle neutre imposant la transmission et l’ordre d’un double nom constitué d’un nom provenant de chaque parent semble garantir une égalité de facto-réelle entre hommes et femmes […]« .

La Cour a donc très clairement considéré que les mères étaient traitées de manière discriminatoire par cette règle qui établit une différence de traitement entre le père et la mère d’un enfant.

La Cour a donc très clairement considéré que les mères étaient traitées de manière discriminatoire par cette règle qui établit une différence de traitement entre le père et la mère d’un enfant, fondée exclusivement sur le critère du sexe, ce qui peut avoir pour effet de donner un droit de veto au père. Elle ne se positionne cependant en faveur d’une méthode ou une autre (ordre alphabétique, tirage au sort, etc.) mais requiert une règle « neutre ».

Nous ne pouvons que nous réjouir de cet arrêt et de la modification législative qu’il va entraîner. Nous regrettons cependant que le ministre ne se saisisse pas de cette occasion pour améliorer d’autres aspects du texte comme l’automaticité du double nom par exemple ou l’ouverture de nouvelles mesures transitoires permettant aux parents d’enfants nés avant 2014 de bénéficier de ces modifications. Rappelons enfin que l’avant-projet doit encore être soumis pour avis au Conseil d’État. Ce qui signifie que ce texte n’est pas encore définitif. La vigilance s’impose.

 


(1) « Adaptation du mode de transmission du nom à l’enfant », communiqué de presse mis en ligne sur www.presscenter.be.

(2) Voir Arrêt n° 2/2016 de la Cour Constitutionnelle du 14 janvier 2016.

(3) Sophie Rohony, « Oui au double nom? », dans Espace de Libertés, n°427, mars 2014, pp. 14-15.

(4) « Double nom de famille », mis en ligne sur http://igvm-iefh.belgium.be.