Espace de libertés – Décembre 2016

Petits arrangements avec Dieu


Arts
On s’arrange toujours avec Dieu. Avec ses « Sept histoires pas très catholiques », Armel Job esquisse le portrait à géométrie variable du catholicisme populaire, quelque part dans les Ardennes belges d’après-guerre. Entre poids des convenances et liberté chérie.

Armel Job, l’un des écrivains belges les plus remarqués de ces dernières années.« De nos jours, s’il y a bien une race arrogante et insupportable, c’est celle des athées. » Quel mérite y a-t-il, demande d’entrée de jeu le narrateur, à ne pas croire en Dieu en un temps et un lieu où c’est devenu la règle? Autrement héroïques furent jadis les impies de nos campagnes, dont la royale indifférence au qu’en-dira-t-on impose le respect. « Un mécréant, dans un bourg comme Ferval, c’était aussi rare qu’un dévot aujourd’hui. » Ferval ou Gromont: ce sont les villages imaginaires mais ardennais dans l’âme où Armel Job, lui-même originaire de Bastogne, campe ces sept histoires qui s’emboîtent comme autant de poupées russes. Tel personnage ici secondaire passe plus loin à l’avant-plan et inversement. Une chorégraphie douce-amère par laquelle l’auteur laisse entendre que la morale est surtout une question de perspective. Et que toute vue d’ensemble, privilège de la fiction, enterre les velléités de se juger les uns les autres.

Chasteté, fidélité… et plus si affinités

Dans Les cigarettes de l’abbé Volner, nous voyons le curé de Ferval se consumer pour la jeune et timide Paula – « Quoiqu’on en pense, mieux vaut une fille que les enfants de choeur », le rassure son supérieur – avant de découvrir, dans la nouvelle suivante, que Paula, si elle voulut enlever l’abbé à son sacerdoce, l’aima au fond avec peu de conviction: « Comment s’approprier un être torturé au point de s’infliger la prêtrise? » Mis dans le secret des remords de l’épicier Valentin, dont les nuits passées à Liège pour la criée du jeudi matin servaient de rendez-vous avec sa maîtresse, nous apprenons plus loin qu’il était équitablement trompé par sa femme Maggy – et, comme de bien entendu, avec son meilleur ami. Dans ce vaudeville toujours plus tendre que vache, ce n’est ni la passion brûlante ni le péché d’orgueil qui opèrent en sous-main des vies officielles mais, bien plus encore, l’inertie, une ignorance chaste de soi-même et la compassion pour autrui, valeur chrétienne s’il en est. « J’ai eu pitié », dira Maggy à propos de son amant, marié à la trop belle Blanche qui lui refusait ses faveurs.

Croyance et mécréance fluctuantes

Dans ces destins ordinaires, la religion n’apparaît ni comme un refuge ni comme une menace, mais comme une présence diffuse, avec laquelle les personnages entretiennent une relation ambivalente. Les dévots le sont par contingence. Les mécréants craignent le blasphème. On pèche sans y penser. On se confesse à contretemps. L’oncle Achille refuse l’absolution assurant qu’il « s’arrangera lui-même avec Dieu » avant d’être pris d’un ultime doute: et s’il se trouvait séparé de son épouse dans cet au-delà auquel il ne croit pas? L’abbé Volner qui, pas moins qu’un autre, pense à tout quitter pour une femme, se laisse mollement remettre dans le droit chemin par le vicaire général: « À quoi bon regretter? La loyauté un jour ou l’autre implique la trahison », se console-t-il. Quant à Valentin, le non-pratiquant, il s’obstine à vouloir remettre entre les mains d’un prêtre une hostie achetée à un « gosse de pauvres », ignorant la tradition liégeoise des « nulles », ces hosties non consacrées que vendaient alors les enfants d’Outremeuse au moment du Nouvel An.

Foi de femme

Dieu, du reste, est un problème mineur. Il en va autrement des conventions sociales. Cela est d’autant plus vrai pour les femmes qui – à tout seigneur tout honneur – tiennent le beau rôle de ces histoires « pas très catholiques », qu’elles soient des filles-mères contraintes de se racheter une morale en tournant le dos à la « puissance irradiante » du désir, des beautés qui, comblées d’elles-mêmes, se passeraient bien de la maternité ou des jeunes mariées infertiles « comme toutes les femmes réprouvées de la Bible ». Qu’elles soient, enfin, les filles de ces femmes: un peu plus libres, un peu plus fortes, à l’image de Paula qui, après avoir séduit un prêtre, vécut « loin des usages, des règles, des sacrifices ». En mauvaise catholique. Comme une profession de foi.